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«Le Courrier de Saint-Hyacinthe et le début de la carrière de Daniel Johnson, 1946-1958»

En septembre 1961, Daniel Johnson devient chef de l’Union nationale. Après les décès de ses deux chefs, Maurice Duplessis mort en 1959 et Paul Sauvé en 1960, le parti dirigé par Antonio Barrette est battu aux élections de 1960 par les libéraux de Jean Lesage. Ces décès successifs et cette défaite historique amènent le parti, un an plus tard, à se choisir un nouveau chef. Élu pour la première fois député du comté de Bagot en 1946 ─Acton Vale en étant le chef-lieu─, Johnson accède au cabinet ministériel en 1958. Trois ans plus tard, il est choisi de justesse chef du parti battant par quelques dizaines de voix son adversaire plus progressiste Jean-Jacques Bertrand. Profitant d’une carte électorale favorisant les comtés ruraux et de la division des votes entre les libéraux et le RIN, il rafle une majorité des sièges en 1966 et poursuivra les réformes amorcées par les libéraux de Jean Lesage au point d’être considéré comme un des pères de la Révolution tranquille. Il meurt subitement en 1968 avant d’avoir terminé son mandat.

Si les historiens et les auteurs ont beaucoup scruté la dernière partie de sa politique à partir de 1961, ils ont négligé de comprendre comment Johnson a débuté sa carrière politique. Avant d’être connu à l’échelle provinciale, il fallut d’abord qu’il soit apprécié dans son comté et sa région. Et c’est à Saint-Hyacinthe avec l’hebdomadaire unioniste dirigé par Harry Bernard, Le Courrier de Saint-Hyacinthe, qu’il trouvera d’abord comment rayonner dans la grande région maskoutaine. Pierre Godin qui a consacré, en deux volumes, plus de 800 pages à sa biographie a négligé de consulter ce journal, ce qui l’a empêché de suivre en détail ce long travail de conquête d’un ascendant régional, indispensable tremplin pour l’arène provinciale.

Le 14 juin 1961, le courriériste parlementaire du Devoir, Pierre Laporte écrivait à propos de Johnson : «Sous M. Duplessis, M. Johnson était un député sans relief. Ses interventions étaient rares et laissaient peu de trace. […] Comme ministre sous M. Sauvé et sous M. Barrette le député de Bagot était plus efficace en coulisse que sur le parquet de la Chambre.» Cette lecture du début de la carrière de Johnson est celle que vont adopter les historiens, parce que la reconstitution des épisodes politiques va se faire, comme c’est le cas chez Godin, par les grands journaux nationaux comme Le Devoir. De Montréal et de Québec, on n’a pas vu la montée d’un Johnson au sein de l’opinion publique de sorte que le personnage devient seulement digne d’intérêt qu’à partir de 1961. Mais sa carrière, examinée à partir de Saint-Hyacinthe, est, comme on le verra, beaucoup plus riche et son accession au titre de chef de l’Union nationale moins étonnante.

Les débuts d’une complicité entre Johnson et Bernard
C’est lors des élections partielles du comté de Bagot en décembre 1946 que Bernard rédige ses premiers textes sur Daniel Johnson, candidat de l’Union nationale dans un comté libéral. Il y va de quatre éditoriaux soulignant les mérites de l’Union nationale, de Duplessis et du candidat unioniste (voir le 15 novembre 46, le 6 décembre, le 13 décembre et le 20 décembre 1946.

Johnson est un ancien du Séminaire de Saint-Hyacinthe, ce qui déjà le rend déjà sympathique à ses yeux, bien qu’il soit beaucoup plus jeune que Bernard. Comme Le Courrier est au service de l’Union nationale, son rédacteur en chef peut y aller allègrement. En conclusion de son éditorial du 20 décembre, soit au lendemain de la victoire de Johnson, Bernard écrit à propos du jeune député : «M. Johnson est un jeune homme affable, instruit et actif, sur lequel [la population] peut compter. Elle le connaît depuis longtemps, elle fut à même de l’apprécier, pour les inestimables services qu’il lui a déjà rendus. S’identifiant depuis longtemps avec le comté de Bagot, Me Johnson travailla sans relâche en sa faveur auprès du gouvernement, alors que M. Duhaime, son propre député, se trouvait dans l’opposition. Il eut alors cette satisfaction d’obtenir davantage des pouvoirs publics, pour la population, que le député lui-même.»

Dès l’ouverture de la nouvelle session parlementaire le 12 février 1947, Johnson prononce son premier discours qui, deux jours plus tard, est reproduit dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe. 47johnson_14fev47_web L’année suivante, deux modestes faits d’arme du jeune député sont tout de même rapportés, soit sa nomination comme président suppléant de l’Assemblée législative en février et son rôle d’animateur lors d’un banquet à l’honneur de Duplessis à Montréal le 14 mai 1948. Quant à ses allocutions, on en trouve un bref extrait alors qu’il intervient au Sénat de la Jeunesse de Montréal le 19 mai 1948. Aux élections générales de l’été, aucun éditorial ne porte sur sa candidature dans Bagot alors que Bernard en réserve un en faveur de son patron et candidat unioniste dans Saint-Hyacinthe. Ernest-J Chartier. On peut y lire néanmoins quelques extraits d’allocution de Johnson lors de réunions électorales dans Bagot, comme celui-ci du 2 juillet, qui traite du crédit agricole, une des réalisations majeures de Duplessis et qui trouve un écho favorable dans ce comté semi agricole de Bagot.,p>

En avril 1949, Johnson trouve le moyen de faire parler de lui alors qu’invité à la radio, il raconte la vie quotidienne d’un député. En reprenant mots-à-mots les propos tenus, l’auteur de cet article son signé a eu accès au texte lui-même. Et comme on l’apprendra plus tard, dans une lettre de Bernard à Johnson (HB à Daniel Johnson, le 16 novembre 1958, c’est sans doute Johnson lui-même qui aurait livré une copie de son texte au Courrier afin que ses propos trouvent un écho dans son comté.

Ancien collaborateur au journal de l’Association étudiante de l’Université de Montréal, Quartier Latin, Johnson s’intéresse depuis longtemps aux journaux. Quand le premier ministre Duplessis cherche, en 1949, quelqu’un pour le représenter au congrès de l’Association des hebdomadaires de la langue française, Johnson saisit l’occasion, y voyant sans doute une belle opportunité. Aussi se présente-t-il à La Sapinière de Val-David pour leur rencontre automnale. C’est la première fois qu’il assiste à cette rencontre qui a lieu à chaque année depuis 1932 date de la fondation de cette Association. L’invité d’honneur de ce congrès est nul autre que le premier ministre du Canada Louis Saint-Laurent. Bernard, qui est un des membres fondateurs de l’association, assiste également à l’événement. Si Johnson «félicita la presse semainière du beau rôle qu’elle remplit et l’assura de la sympathie du gouvernement de la province» (21 octobre 1949) assumant ainsi pleinement son rôle de représentant du gouvernement provincial, il y décroche également un autre rôle qui va l’impliquer pendant une bonne partie des années 1950 à titre de conseiller juridique.

Sans faire partie du conseil d’administration de l’Association, comme c’est le cas de Bernard et d’une dizaine d’autres journalistes, Johnson décroche à ce moment-là une fonction non définie dans les statuts de l’Association puisque, si on en croit les journaux, personne ne jouait ce rôle au cours des deux années précédentes. Il s’agit vraisemblablement d’une initiative personnelle qui lui permettra d’apprivoiser peu à peu cette presse régionale en assistant régulièrement à ces rencontres annuelles. Pendant quelques années, Johnson y va même d’une contribution financière de 50$ sous forme d’un prix qu’il remet en cette occasion pour la qualité de la langue française (voir le 19 septembre 1952 et le 16 octobre 1953). C’est ainsi que Bernard partage ce prix avec un autre journal le en septembre 1951.

Au fil de ces rencontres, Johnson développe une complicité avec Bernard qui devient progressivement un ami. Et Johnson apprécie l’impact considérable qu’ont les hebdomadaires sur l’opinion publique. À telle enseigne qu’il tente même de convaincre, en 1956, Duplessis de doter l’Union nationale d’un réseau provincial d’hebdomadaires (Godin, Daniel Johnson, vol. I, p. 265) dont aurait sans doute fait partie Le Courrier de Saint-Hyacinthe. Si cette démarche s’avère un échec elle témoigne néanmoins du respect qu’il avait pour ces journaux dans la diffusion des idées unionistes.

On ne s’étonne plus de retrouver dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe ce genre de texte comme celui du 28 juillet 1950: «Me Daniel Johnson, député de Bagot à l’Assemblés législative, prononçait hier soir à Radio-Canada, réseau français, une causerie sur La politique provinciale. On en trouvera ci-après les passages essentiels.» Au fil des ans, Bernard fera paraître un grand nombre d’articles de ce genre alors que Johnson a pris la parole. Au début des années 1950, ce sont essentiellement des causeries radiophoniques à Radio-Canada et à CKAC qui sont ainsi retranscrites dans l’hebdomadaire (voir celle du 20 janvier 1950 du 27 octobre 1950, du 4 avril 1952 et du 12 décembre 1952 et du 6 mars 1953.

Si on se fie aux articles publiés dans Le Courrier, l’année 1954 semble marquer un premier tournant dans cette course de Johnson vers une plus grande visibilité. En effet, s’il continue à faire publier ses interventions radiophoniques (voir celles du 25 mars 1955, du 17 février 1956 et du 1er mars 1957, il est invité à prendre la parole sur d’autres tribunes comme le Club Renaissance de Québec, fief de l’Union nationale (voir celles du 19 mars 1954 , du 4 mars 1955et du 23 décembre 1955) et les Chevaliers de Colomb (29 octobre 1954) le Club Richelieu de Montmagny (29 janvier 1954). C’est au cours de cette même année qu’il gravit un nouvel échelon en devenant adjoint parlementaire (en décembre 1954 de Maurice Duplessis.

Devenu ministre des Ressources hydrauliques en 1958, les occasions de faire parler de lui et de répandre son message se multiplient comme on le constate au tableau suivant. Avant sa nomination, on compte deux articles, puis le journal en aligne en huit mois une bonne vingtaine. Banquets, rencontres, congrès annuels en tout genre, autant d’occasion d’y faire des allocutions qui, en tant que ministre, ont plus de poids. Et Le Courrier se fait toujours un devoir de reproduire ses interventions. Tous ces articles sont des témoignages précieux de la pensée de Johnson.

Les articles sur Johnson parus dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe en 1958

28 février Club Renaissance (Québec)
4 avril Campagne électorale fédérale (St-Hyacinthe)
2 mai Nommé ministre (Québec)
2 mai Nomination de Johnson sous forme d’une brève signée H.B.
9 mai Éditorial sur Johnson signé Harry Bernard
9 mai Hommage pour sa nomination (St-Pie de Bagot)

23 mai Club Maskoutain (St-Hyacinthe)
30 mai Éditorial sur Johnson signé Harry Bernard
30 mai Hommage pour sa nomination (Acton Vale)
6 juin Club Renaissance (Québec)
13 juin Congrès Chambre de Commerce (St-Hyacinthe)
19 juin Congrès Association canadienne antituberculeuse (Québec)
17 juillet Fête en l’honneur d’un collègue député (Valleyfield)
7 août Banquet de la Société d’Agriculture (St-Hyacinthe)
14 août Exposition régionale (St-Hyacinthe)
14 août Club 4H (Montréal)
21 août Intervention en Chambre (scandale du gaz naturel)
4 septembre Éditorial sur Johnson signé Harry Bernard
11 septembre Nouvelle : scandale du gaz naturel
18 septembre Club Renaissance (Québec)
25 septembre Chambre de Commerce (Montréal)
25 septembre Congrès Association nationale des agences de voyage américaines (Québec)
2 octobre Inauguration des cours pour adultes (Acton Vale)
20 novembre Causerie radiophonique CKAC, émission Nos Gouvernements (Montréal)
4 décembre Intervention en Chambre
18 décembre Congrès Jeune Commerce (Waterloo)
31 décembre 12e anniversaire du député Johnson (Québec)

La suite
Jusqu’à son élection comme chef du parti à l’automne 1961, nous avons poursuivi la numérisation systématique de tous les articles du Courrier traitant de Johnson, comme on pourra le constater en cliquant sur le mot-clef «Daniel Johnson» en page d’accueil. On y trouve 17 textes publiés en 1959, 23 en 1960 et 45 en 1961. Notons cependant qu’à partir de 1962, seuls les éditoriaux et les principaux discours de Johnson ont été numérisés.