Les lettres échangées, 1931-1949

Lettres 57 et 58

FAD boîte 5, 3.202

[3 janvier 1931]

 

Telle qu’hier…

Telle qu’hier je te quittai, je te revois,

Avec ton front serein, tes mains fraîches, ta voix,

Et tes cils bruns qui font de l’ombre sur tes joues.

Tu m’enveloppes de ton sourire; tu joues

Avec les grains rugueux d’un sévère collier.

Je me penche sur ton visage émerveillé,

Que la joie illumine et que la douleur creuse,

Et tes grands yeux ardents de poupée amoureuse,

Qu’avec tes lèvres et tes bras tu sais offrir,

Sont tellement troublés qu’ils paraissent souffrir.

Tes mains brûlent mes mains; ta sombre chevelure

Me frôle et me meurtrit comme une autre brûlure.

Je caresse tes yeux refermés à demi,

Et la chair dure de ton corps vierge a frémi

Sous le baiser amer que je cueille à ta bouche.

Tes cils battent, tes bras me dévorent, je touche

Ton épaule fuyante et pleine aux tons cuivrés;

Et tes doigts que Ronsard, mon maître, eût célébrés,

Tressent négligemment, pour une heure prochaine,

La guirlande légère où se cache la chaîne.

Harry Bernard

À mon cher Alfred DesRochers, ces vers d’amateur, avec mes meilleures amitiés, H.B.

3  janvier, 1931

Lettre 59

FHB 298/045/007

Sherbrooke, 8 janvier 1931

 

Mon cher Bernard,

Tu vas me coûter cher d’encadrement; mais je te remercie férocement quand même de l’envoi de « Telle qu’hier… »   J’ai une cousine, institutrice, qui était à la maison, quand j’ai reçu ton poème. Elle le trouvait bien beau jusque vers la fin, mais ne pouvait comprendre à quelle « guirlande » tu faisais allusion. Je suis convaincu qu’elle entrevoyait là un symbole que tu n’as jamais voulu y mettre. Finalement, j’ai dû lui dire, pour lui faire comprendre que ta « guirlande » était métaphysique que c’était à SES doigts à ELLE que tu référais, et non aux tiens. De sorte que l’idée de la « guirlande » physique lui est partie de l’esprit. Comprends-tu nos institutrices?

Je n’ai pas encore reçu mes livres et ça me met dans une mauvaise posture vis-à-vis mes amis. Le livre est en vente depuis deux semaines pratiquement et je n’ai pas encore fait un seul hommage d’auteur  – et pour cause. Pourrais-tu t’arranger pour que j’aie ces livres numérotés au plus m…

Comment as-tu aimé le petit poème déhanché que j’incluais avec notre carte de bons souhaits? Il faudrait naturellement corriger l’erreur de « valse », VALENCIA étant un fox-trot.

J’ai comme une envie de perdre mon temps à écrire une suite : Jazz-Love, dans cette veine. Il faut bien s’amuser, et ça se fait tout seuls, ces vers-là.

Au plaisir de lire Juana, mon aimée… et d’autres vers de toi.

Saluts

Alfred D.

P.S. As-tu vu la colonne que je consacrais à ta Ferme des Pins?  J’ai deux discussions en cours à  sujet.

Lettre 60

FHB 298/045/007 et FAD boîte 1, 1.014

le 20 janvier 1931

 

Mon cher DesRochers,

J’ai été tellement pris avec toutes mes polémiques municipales, que j’en ai négligé mes amis. Il ne faut pas m’en vouloir. J’ai reçu ton livre et te remercie. Comment as-tu trouvé le volume, typographie parlant? Il y a bien la  m… faute des « Seigneurs », mais pourquoi ne l’as-tu pas corrigée, quand tu te prélassais dans mon bureau?

Je tiens aussi à te remercier de ta critique de la Ferme des pins. Je crois vraiment que c’est la meilleure que j’ai eue. Je le dois sans doute à ton amitié, qui se laisse facilement aveugler. Il y a tout de même un fait : que les gens qui sont des Cantons de l’Est, connaissent les Cantons de l’Est, acceptent mon livre comme véridique et vraisemblable, et que les gens qui ne connaissent rien, ou à peu près rien, des Cantons de l’Est, crient sur les toits que le livre est faux. Que conclure? Mais je m’en fous.

Je travaille actuellement sur Juana. Ça va. J’espère pouvoir t’envoyer, avant très longtemps, une version assez propre du livre, encore que non définitive. Tu me diras ton sentiment. Je crois bien que cet autre livre va faire sursauter plus que jamais ces bons critiques. Si je te disais que la Ferme m’a valu jusqu’à une lettre anonyme. Je ne croyais pas avoir tant d’importance.

Pas mal, cette Valencia. D’une note moderne que je crois prenante. Il y aurait peut-être quelque chose à faire là. Est-ce que la vente de l’Orford va bien?

Je te salue, et te prie d’offrir mes hommages à madame,

Sincèrement,

[H.B.]

Lettre 61

FHB 298/045/007

23 janvier 1931

 

Mon cher Bernard,

Je te pardonne ton retard, car je me suis bien amusé à suivre ta polémique. Je pense que, si tu veux écrire le roman qui « bouchera » tous tes détracteurs, tu n’as qu’à prendre un sujet où tu aurais une hache à aiguiser. Pourquoi pas un roman sur les mœurs politiques?

Je trouve le travail typographique excellent, sauf, naturellement les QUATRE fautes dont les « seigneurs » est la plus bénigne. La meilleure, c’est quand ton typo m’a fait écrire ce vers :

Qu’à nos SAGES, mêlant votre prénom divin,

au lieu de RAGES… Une autre qui l’accote, mais que les gens qui savent lire corrigeront, c’est quand on a remplacé JE par LE, dans le premier vers de « Mysticisme sentimental ». La phrase telle qu’imprimée est incompréhensible, ce qui incitera les lecteurs à corriger. La quatrième est une simple transposition de ligne, erreur encore facilement corrigeable. Pour le reste, c’est mieux que je n’aurais pu faire.

J’abandonne la littérature spéculative pour le pratique. Je suis déjà à l’œuvre sur le volume de journalisme canadien, dont je t’ai déjà parlé. J’ai passé deux jours à Montréal, cette semaine, j’y retournerai encore la semaine prochaine. Je me suis amusé à me faire dire la bonne aventure dans la main. Voici ce qu’on me dit : « Your imagination is the success of your hand, but your emotions are the failure, and in actions, it appears to be most difficult to separate the two. When the imagination is governed by a peculiar kind of practical, common sense element, you begin the best of your hand. The hand has been for some time Amaking@ that kind of a condition. It also takes away a certain pleasantness and puts in its place a kind of cold, calculating ambition. AND THAT’S THE KEY TO YOUR FUTURE – CALCULATION… » Alors, regarde- moi « calculer ».

Lévesque m’a dit que ma colonne sur la Ferme des pins lui avait plu, et tu me dis la même chose. Tant mieux. J’ai soutenu une discussion à ce sujet, avec Pelletier, cette semaine, et j’en ai une en cours par correspondance, avec Harvey. Et je trouve l’absolutisme de plus en plus comique. Je crois bien que je n’emploierai plus l’expression « écrire mal » à l’égard de personne : car ceux qui accusent les autres de mal écrire écrivent justement dans un style que je trouve mauvais. D’ailleurs, la littérature devenant de plus en plus chose secondaire dans mon existence, je n’aurai probablement pas l’occasion d’en parler souvent.

Il y a jusqu’à date trois personnes qui m’ont acheté À l’ombre de l’Orford, je n’ai pas encore commencé à en vendre. Je suis à m’arranger avec Lévesque pour qu’à l’avenir, il paye en argent et garde ses vaches seul, c’est le meilleur moyen de les avoir bien gardées. J’ai déjà 128 volumes de donnés et il va m’en falloir donner au moins encore une quinzaine. C’est une abomination.

Dépêche-toi d’écrire au propre ta Juana, pour que je me rince l’œil d’un autre livre COMPOSÉ.

Et sur ce, bonjour, mes hommages à ceux et celles qui en voudront.

Alfred D.

 

Au fil du Remington

Maintenant que vos yeux ont retrouvé l’éclat

Que la fatigue avait terni et que la vie

Fredonne de nouveau ses mornes tralala,

Je vous arrive.

 

L’air est froid, mais moins, ma mie,

Que l’absence où mes yeux ne vous retrouvent pas.

 

Un soleil mat et sans chaleur… je pense à l’autre,

Au soleil éclairant notre naissant amour,

Avant que sur mon cœur ait palpité le vôtre.

 

Vous vous en souvenez encore? C’était un jour

D’octobre, et dans l’air calme erraient des feuilles mortes.

Vous portiez une robe écarlate. On eût dit

Que l’été revenait, tant l’automne attiédi

Était chargé d’ardeur et de tendresse fortes.

 

Ah! comme nous étions l’un l’autre alors naïfs!

 

Nous n’avons échangé que des regards furtifs,

Car vous étiez venue avec quelques amies.

 

Une odeur d’encre et de papier, dans le bureau

Étroit où nous étions mêlait sa raillerie

Aux parfums qui montaient du sol. C’était trop beau.

 

Ah! ce soleil, comme il était clair, que ses flammes

Exprimaient bien le trouble émoi de nos deux âmes.

 

Je revois tout. Votre sourire un peu moqueur,

Un peu blasé, mais laissant voir de la tendresse,

Me chavirait la tête en m’allant droit au cœur!

 

Derrière nous, dans l’atelier obscur, la presse

Continuait ses moulinets enchevêtrés.

 

Nous parlions de romans, de poètes aimés.

 

Je me souviens, souvenez-vous!

Depuis nos lèvres

Ont conté le secret de nos cœurs et leurs fièvres,

Et nous avons alors connu l’entier embrasement

Où nous fondons l’éternité dans un moment.

 

Mais ce soleil d’octobre et la robe écarlate

Que vous portiez, je les revois.

Et ce midi,

Alors que jusqu’aux cœurs, tout semble refroidi,

Leur rayonnement double en ma mémoire éclate…

 

D’autres vers déhanchés pour ton amusement!

Lettre 62

FHB 298/045/007 et FAD boîte 1, 1.014

le 26 janvier 1931

 

Mon cher Desrochers

Ton désir est comblé. Ce jour d’huy même, sous autre pli, je t’adresse Juana. C’est une belle fille sans prétention, qui a bien envie de vivre. Elle ne s’abuse guère, cependant, et sait parfaitement qu’elle ne sera pas prise au sérieux. Il lui faudrait un autre père.

Je note, mon vieux, que tu deviens désabusé. Franchement, il y a de quoi. Mais, comme tu sais, il ne faut pas s’en faire avec les chameaux qui composent les trois quarts et demi du public. Qu’est-ce que tu dirais si, comme moi, au lieu de n’avoir qu’une mauvaise vente, tu t’étais fait engueuler de haut en bas par tout le monde, y compris la plupart de ceux qui se disent tes amis? Malgré tout, seul dans mon coin, j’ai écrit et publié six ouvrages, j’en ai deux autres sur le métier Je me demande parfois pourquoi j’ai tant travaillé? Je suis même persuadé que ma femme n’a pas lu un tiers de mon œuvre, et que l’admiration qu’elle a pour son mari d’écrivain n’est pas la moitié de ce qu’elle éprouve pour Phil Lalonde, l’annonceur à la radio…

Ne t’en fais pas, comme je dis. Dans la mesure du possible, organise ta vie au point de vue matériel, car il faut vivre. Dans tes moments libres, sache encore travailler pour toi, sinon pour ceux qui ne veulent rien comprendre.

Pour ce qui me concerne, imagine la petite découverte que j’ai faite. Notre ami Lévesque, qui est mon éditeur et le tien, paraît n’avoir qu’une estime fort médiocre pour mes qualités de romancier et d’écrivain. J’ai découvert cela par pur hasard. J’ai au moins deux indications fort précises, toutes récentes, de l’espèce de dédain supérieur qu’il m’accorde. Il a peut-être raison. Mais diable vois-tu la situation d’un éditeur qui n’a pas confiance aux écrivains qu’il attache à sa maison. Au surplus, je me demande franchement quelle est la compétence de Lévesque à me juger, parlant littérature? Il faudrait que les gens de cette sorte s’essayent à composer un roman. Je crois que cela leur inspirerait de la modestie. Enfin, je ne lui en veux pas plus que cela.

J’ai vu Harvey sur le train, vendredi dernier. Il a été charmant, comme d’habitude. Ce gaillard est toujours charmant, quand j’y suis. Dès que j’ai le dos tourné, il me donne du bâton. Je me dis qu’il doit vouloir mon bien avant tout, si le proverbe est vrai. As-tu noté comme il a avalé le dernier livre de Dantin, d’un seul trait? Cela n’a pas de sens. Le livre de Dantin, dans l’ensemble, a de la valeur. Mais trois ou quatre de ses nouvelles, à mon sens, sont d’une platitude! Entre autres « Printemps,  Rose-Anne, La locomotive ». Il y a aussi des pages que je trouve fort mal fichues, et la plupart des dialogues sont d’une naïveté bébête! Harvey paraît accepter tout cela comme un quasi chef-d’œuvre, et Lévesque emboîte le pas. Malgré ce que prétend Harvey, on n’a pas encore chez nous un sens bien déterminé des valeurs. En somme, je n’en veux pas plus à Harvey qu’à Lévesque. Je vieillis, et cela me porte à l’indulgence.

Tes derniers vers sont réellement bien. Il y a quelque chose, là-dedans. Du naturel, de l’émotion, et du métier. Je me demande si des pièces de ce genre, dûment travaillées, ne donneraient pas un volume intéressant. D’autre part, cela a le malheur d’être en vers. Tu sais comment les vers sont prisés des épiciers. Et tu m’engageais, malgré tout, à publier moi-même des rimes alignées! Quel culot!

J’ai hâte de voir ton ouvrage sur les journaux. Y accorderas-tu une petite place aux hebdomadaires? Il le faudrait. Je te quitte là-dessus. Je viens de recevoir une action en dommages du dénommé T.-D. Bouchard, et la besogne, d’ici quelque temps, va décupler. Plaisirs du journalisme, qui nous reposent des affres de la littérature pure.

Mes saluts,

[H.B.]

Lettre 63

FAD boîte 1, 1.014

[26 janvier 1931]

 

Mon cher,

Relativement à Juana, je te demande de me signaler toutes les fautes de français et de goût, les impropriétés, les anachronismes, les sottises de toutes variétés que tu pourras y trouver. Tu me rendras ainsi service, en même temps que tu mériteras de la sainte cause des mauvaises lettres canadiennes.

Donne-moi aussi ton opinion franche sur toute l’affaire.

C’est une nouvelle tentative que je fais, et je voudrais bien savoir, cette fois encore, jusqu’à quel point je me suis fourvoyé.

Saluts.  B.

Lettre 64

FHB 298/045/007

Sherbrooke, 27 janvier 1931

 

Mon cher Bernard,

Ça c’est une lettre comme j’aime en recevoir que tu m’as écrite. Ce que tu y dis toutefois ne m’est pas inédit : ce sont toutes choses que je savais. Et j’en suis rendu à me créer la définition suivante d’un critique : c’est un incapable qui dit avec ses pieds aux écrivains créateurs qu’ils ne savent pas écrire. Ça me fait pouffer de lire certaines phrases de critique; mais je m’y fais, comme à bien d’autres choses. Notre ami commun Lévesque souffre d’un inferiority-complex. Pour lui en imposer, il s’agit simplement d’être dogmatique. Il n’examine pas si les dogmes qu’on expose ne valent pas ceux qu’on condamne; du moment qu’on affirme carrément une chose, il la prend pour acquit. J’en ai fait l’expérience personnellement au sujet de Bruchési, qu’il tenait pour un de nos premiers écrivains il y a un an et qui aujourd’hui n’est plus qu’un 30e ordre.

Moi, j’en reviens tous les jours de l’absolutisme en tout. Plus ça change et plus c’est pareil. Il n’y a que le Veau d’Or qui soit toujours debout. Autant brûler son encens à celui-là qu’à d’autres. Mon vieux, tu seras Flaubert et tu auras des dénigreurs, mais possède une

Pierce-Arrow et, sauf quelques vendeurs, nul ne te demandera d’acheter une Rolls-Royce ou une Hispano-Suiza. C’est la vie.

Et ce qu’il y a de plus maudit, c’est que c’est nous, les écrivains, qui sommes responsables de cet état de choses. La pensée, la première et la seule faculté essentielle de l’humanité, s’est toujours aplatie devant la puissance et les arts. On dirait que quand un homme est doué d’un cerveau, il se sent le besoin de s’en faire excuser en mettant ce cerveau au service de tout le secondaire. La Trahison des Clercs, ah! le magnifique mot!

Comme ils sont admirables, les Barbey  d’Aurevilly, les Villiers de l’Isle-Adam, les Marcel Schwob, tous ceux-là qui ont fait de la littérature pure. Si je n’avais pas pris la décision d’être un  ruler, je serais un dédaigneux et je reprendrais la belle morgue que j’exhibais quand j’étais célibataire pour toutes les conventions, pour tous les arts, je ferais comme ton héros de Juana, j’irais m’installer sur une ferme, quitte à y crever de faim, mais je ne serais pas valet de cette abrutissante société.

Et ça m’amène à ton roman, dont je viens de lire 22 pages sur le temps de la compagnie. C’est très bien jusque-là. Seulement, ici encore, ce roman a trop de technique pour plaire à nos imbéciles. Nul ne comprend le procédé du monologue intérieur, l’une des plus belles découvertes de l’écriture moderne. Mon roman Nous avons joué dans l’Île est justement composé d’après ce procédé, ce qui me fait douter qu’il y ait une demi-douzaine de personnes qui le comprennent.

Quant au style de Juana, il me semble supérieur à tout ce que tu as écrit à date – et c’est dans l’ordre. Il y a une chose qui m’étonne et je te le dis tout de suite, c’est que quand tu dépeins un intérieur ou un caractère, je ne trouve pas un mot à redire; mais dès que tu parles d’un paysage, il faut que tu le métaphysicise. J’ai noté au passage, « des silences complets, immenses, et poignants ». C’est peut-être parce que je suis essentiellement sensuel, mais ces mots-là ne me font rien voir. Pourquoi pas un silence « cru ». Ça me transirait et me ferait ressentir toutes les impressions que tu as transposées dans tes épithètes métaphysiques.

Pour autant (comme dirait Amyot) que mon inconséquence est en jeu, je m’en bats l’œil. Il n’y a pas cent personnes dans la province qui savent lire, c’est un fait. Nous les découvrirons, en leur présentant des œuvres. C’est pourquoi, je te conseille, je t’urge même de les publier. Vive la rime et bren pour les critiques. Si je n’avais pas publié l’Offrande, je ne t’aurais jamais connu autrement que par tes deux premiers livres et par le mal qu’on disait de toi; si je n’avais jamais écrit de vers, je n’aurais pas connu l’abbé Melançon ni Émile Coderre. Et des connaissances comme ce trio, ça vaut qu’on perdre de l’argent. Et Dantin aussi. Tu me sembles un peu dogmatique à son égard, je te l’avoue, mais viens donc causer de tout cela, quelque bon samedi. Pas cette semaine, je vais à Montréal, mais plus tard, et avise-moi de ta venue. Je dois me sauver travailler.

Bonjour,

Alfred D.

Lettre 65

FAD boîte 1, 1.014

[fin janvier 1931]

 

Mon vieux, voici un sonnet tout neuf. Je ne me croyais plus capable d’un tel effort. C’est venu, mais après quelle transpiration!

Le poulet vaut ce qu’il vaut. Il est d’une syntaxe pas mal tourmentée, dans un ton moderne qui déplaira sûrement à tout ce qu’il y a sur terre de Canayens critiques.

Je crois que les deux tercets ne sont pas  mal du tout. Les quatrains sont plus faibles. L’ensemble : ? – En tout cas, le tout est moderne, d’une tournure légèrement précieuse, symbolique très, et, en somme, passablement obscure.

Je te saurais gré de me donner là-dessus ton avis.

Si c’est digne seulement du panier, jette au panier.

As-tu fait connaissance avec Juana?

Je n’ai pu me rendre chez Pelletier, samedi soir dernier. Toi? J’ai regretté.

Je te serre les pattes.

[sans titre]

Mon enfant, je t’apporte un cœur neuf, malgré tout…

Malgré la dureté de la route suivie;

Malgré que j’aille, amer et las, sans savoir où

Ton désir cherchera mon ardeur asservie.

 

Ce cœur, je l’ai voulu simple, malgré le goût

De désespoir qui tord ma lèvre inassouvie

Malgré les givres blanc fleuris au milieu d’août;

Malgré l’orgueil, malgré l’amour, malgré la vie.

 

J’ai comme pressenti notre rencontre, un soir,

Et déjà je montrais, te priant de t’asseoir,

La place qui te fut de tout temps désignée.

 

Car j’ai gardé l’espoir naïf d’un humble toit

Où la paix serait d’ombre et de fraîcheur baignée,

Comme si j’avais su que je marchais vers toi.

Lettre 66

FHB 298/045/007

Sherbrooke, 5 février 1931

 

Mon cher Bernard,

Bien que j’aie « délaissé les cuisses des Muses pour le gigot du Veau d’Or », ma vieille ronchonnante d’amitié littéraire ne peut se priver du plaisir de t’être désagréable, et je passe mes doigts en creux à travers ton sonnet.

D’abord, c’en est un que j’aurais voulu écrire. Il exprime des sentiments jumeaux des miens, et il contient un enfant-de-chinois de beau vers :

Malgré les givres blancs fleuris au milieu d’août.

Il a de plus cette composition vers laquelle j’ai toujours crié et que j’ai rarement pu saisir.

Voilà pour les bêtises. Pour les aménités : ma grammaire enseigne que « malgré que », conjonction, est tombée en désuétude et ne s’emploie plus qu’avec l’auxiliaire. Je sais que les « modernes » tentent de remettre en usage certaines locutions archaïques, et que le peuple a conservé la forme, « malgré » que les savants en disent du mal. Je me permets, enfin, comme de tous les poèmes qui m’INTÉRESSENT, c’est-à-dire qui me sont des scoops, de faire des variations sur le thème, variations que je t’inclus .

En ne venant pas chez Pelletier, samedi soir, tu as perdu l’occasion de rencontrer une charmante jeune fille qui est autre chose qu’une « ganse » : Annette LaSalle, la violoniste. Et incidemment, une personne à qui j’ai fait convenir devant Pelletier et Parizeau que La Ferme des Pins n’était pas si mal que cela. C’est une intellectuelle pure, qui sait par cœur son Gide, son Proust, son Mauriac, son Martin du Gard (Roger), son Martin Maurice, enfin une personne qui après cinq ans de séjour à Paris, trouve moyen de ne pas nous servir un mot d’argot et de nous laisser entendre qu’il y a d’autres moyens de s’amuser à Paris qu’au Caveau Circasien de la rue Pigalle. Si nous avons occasion de nous retrouver à Montréal ensemble, il faudra que tu viennes dîner avec nous. Ce que ça repose des lèvres…

Ta chère Juana, hélas! est encore en position horizontale dans mon tiroir central, mais je me propose de l’en tirer dimanche et de passer l’après-midi avec. Je te garantis que je me comporterai bien…

Et saluts,

Alfred D.

P.S. J’ai profondément altéré le sens de ton sonnet. Tu ne payais qu’un compliment discret; moi je présente un hommage total. Je ne crois pas que mes variations vaillent mieux que ton thème. Une « sensation » poétique que deux tempéraments exploitent chacun à sa façon, c’est tout. Rappelle-toi toujours que ce ne sont pas des corrections que je fais, mais bien des variations.

Continue ta polémique : re Gotham. Ça vaut la littérature! Parce que c’en est!

  

Variations sur un thème de Harry Bernard

Mon enfant, je t’apporte un cœur  neuf, malgré tout

Ce que j’ai rencontré sur la route suivie;

C’est ton bien. Tu n’as pas besoin de me dire où

Ton désir mènera mon ardeur asservie.

 

Car si j’ai gardé» neuf ce cœur, malgré le goût

De désespoir qui tord ma lèvre inassouvie,

Malgré les givres blancs fleuris au milieu d’août,

Malgré l’orgueil, malgré l’amour, malgré la vie,

 

C’est que j’ai pressenti notre rencontre, un soir

D’enfance, et que mes yeux surent apercevoir

La place qui te fut de tout temps désignée :

 

Je n’ai gardé» l’espoir naïf d’un humble toit

Où la paix serait d’ombre et de fraîcheur baignée,

Que parce que, dès lors, je m’avançais vers toi.

Lettre 67

FHB 298/045/007

[février 1931]

 

Révolte

Amour, on me dira que je n’ai pas le droit,

Aux yeux de tous ainsi, d’évoquer vos tendresses,

Mais je me ris du monde et de son code étroit.

 

Mes mains n’ont pas en vain joué parmi vos tresses :

Si je ne n’ai pas le droit, je me sens le devoir

De proclamer quelles me furent vos caresses!

 

Vos lèvres sur mes yeux lassés m’auraient fait voir

Des aubes de juillet par un soir de novembre;

Vous m’auriez redonné le radieux espoir;

 

Et j’aurais, dans la paix d’une petite chambre,

Senti la joue en fleur sur mon front du bonheur

Sans qu’à ce souvenir tout mon être se cambre?

 

Allons donc! Je n’ai pas en ma poitrine un cœur

Que je doive cacher comme une enfant secrète :

Suis-je d’une lignée asservie à la peur?

 

Je dompterai les mots pour qu’ils disent la fête

Que vous avez été pour mon âme et mon corps,

Voluptueuse enfant au plaisir toujours prête!

 

Je me suis senti fort par vous parmi les forts,

Et je crierai qu’en vous, mon délice suprême,

J’ai connu de l’amour ce qu’en pleurent les morts!

 

Et quand j’aurai tordu d’un poing sûr, le poème

Où toute surgira votre chair à travers

Les agencements drus de stances que je sème,

 

Si j’ai quelques regrets en relisant mes vers,

Ce seront des regrets d’artiste malhabile

De n’avoir su capter l’éclat de vos yeux pers.

 

Ni recréer la molle atmosphère de l’Île!

Alfred D.

J’ai fait ces vers hier soir. Est-ce que je suis encore capable de rimer?

Lettre 68

FHB 298/045/007 et FAD boîte 1, 1é-14

le 6 février 1931

 

Mon cher DesRochers,

Après ce que tu me dis, je regrette vraiment de n’avoir pas été chez Pelletier. Il n’y a pas à dire, il faudra se retrouver ensemble à Montréal. Je ne t’en dis pas plus, pour cette fois.

Quant au sonnet, je n’en sais quoi penser de façon finale. Il m’a donné bien du mal. Tu as sans doute noté comment je l’ai balancé : le premier vers présente l’idée générale, qui est développée dans les trois derniers vers du premier quatrain, et dans les trois premiers du deuxième quatrain, pour se résumer dans le ternaire suivant :

Malgré l’orgueil, malgré l’amour, malgré la vie.

Les tercets, eux, tirent la conclusion du tout.

Je sais parfaitement tout ce que tu me dis de malgré que j’aille. Je pourrais, pour m’autoriser d’écrire ainsi, invoquer tour à tour A. Jarry, Rosny, Le de Robert, Péladan, Anatole France, Paul Arène, et parmi les linguistes des individus comme P. Brunot, Faguet et même Stapfer. J’ai bien peur, quand même, que tous les chasseurs de puces me courent dessus, si jamais je publie tel quel. Il serait donc sage de corriger, – ce qui n’est pas facile en l’occurrence. Qu’est-ce que tu en serais du quatrain ainsi présenté :

Mon enfant, je t’apporte un cœur neuf, malgré tout…

Malgré la dureté de la route suivie,

Et bien que j’aille, amer et las, sans savoir où

Ton désir cherchera mon ardeur asservie.

Il me semble que cela cloche quelque part. As-tu une suggestion élégante?

Tes variations m’amusent. Pour le moment, je crois que je préfère mon texte. C’est d’ailleurs logique. Mais dis-moi pourquoi tu perds ton temps à refaire mes machines, au lieu de créer de nouveau?

Je viens de me faire engueuler magistralement par Mgr Camille, dans le Secondaire Enseignement. À certains points de vue, il a raison. À d’autres, moins. Je ne sais si je me trompe, mais on dirait qu’il y a chez cet homme du parti pris? Il me reproche deux ou trois choses que l’on peut facilement mettre au compte de la convention littéraire, et il me fait des fautes de français où j’avais voulu mettre des expressions imagées. Au surplus, il donne comme inacceptables des situations que j’ai observées dans la vie réelle, de mes yeux vus, et qui, pour ne lui être pas agréable, n’en existent pas moins dans la réalité. Je peins le monde tel que je le vois, moi, et non comme tel petit monsieur le voudrait voir représenté. Enfin, ce n’est pas plus grave que cela.

Lévesque me talonne maintenant pour avoir mon volume de poèmes à l’automne. Je lui ai dit que c’était impossible. Il m’a presque laissé entendre qu’il préférerait les vers à Juana, – ce qui est une insulte à cette femme. Je crois, mon vieux, que tu as un peu parlé. Mon cher éditeur m’a laissé entendre qu’il me considérait comme l’un des premiers poètes de ce temps, avec Choquette et DesRochers!!! Et il a dû lire trois pièces de moi. C’est encore l’inferiority-complex qui fait des siennes. Quand Pelletier aura fait sauter mon recueil à la dynamite, Lévesque n’en voudra plus entendre parler. Trouves-tu qu’on s’amuse?

J’ai reçu Books Abroad, deux livraisons, et je suppose que c’est à toi que je dois des remerciements. La revue m’intéresse. Le rédacteur m’a demandé, à l’occasion, de petites appréciations critiques sur des écrivains de chez nous. J’en ai fait trois que je t’adresse sous pli. C’est à peu près ce que j’avais dit en français dans le Courrier. Qu’est-ce que tu dis de mon anglais? Est-ce potable? Je ne voudrais pas, là-bas, faire honte à la race. Et je t’avoue que c’est la première fois que j’essaie de rédiger quelque chose en anglais. Si tu trouves des insanités, montre-les-moi au plus tôt, avant que je les envoie se faire admirer dans l’Oklahoma.

Là-dessus, mes salamalecs.

[H.B.]

Lettre 69

FHB 298/045/007

Sherbrooke, 7 février 1931

 

Mon cher Bernard :

Je fais des variations sur certains de tes thèmes, parce que ça m’amuse et ensuite pour voir comment deux tempéraments peuvent réagir devant une impression semblable.

J’ai senti en lisant tes vers qu’une idée semblable me trottait en tête inconsciemment, et j’ai voulu voir pour moi. J’écrirais tout le sonnet d’une phrase.

Ton premier quatrain n’a pas de proposition principale, tel qu’écrit avec ses…. Les points de suspension me semblent un procédé de couventine ou de Corbière; mais ici encore de grands auteurs me contredisent. Et j’aimerais infiniment mieux le verbe « mener » que le verbe « chercher » dans le quatrième vers.

Fais-moi voir l’enguirlandage de Mgr Roy. Je ne reçois pas l’Enseignement  Secondaire.

Tes vers plairont et déplairont, c’est entendu. Il y a en eux une fluidité qu’aucun autre poète canadien, sauf Morin, en de rares cas, n’a révélée. Je suis à peu près sûr que la majorité des pièces déplairont à Pelletier dont je vais encenser le Carquois à ma manière prochainement.

Tu dois en effet Books Abroad. à mon « intervention ». Le prochain numéro comportera  un entrefilet sur La Ferme des pins où on lira que M. Harry Bernard  «is one of the best, if not the best of the French-Writing novelists living in Canada». Tu y verras une courte appréciation des Bois qui Chantent, à moins que ton analyse ne prévaille sur la mienne. De plus, je suis « cédulé » pour écrire un article en français sur les écrivains canadiens d’expression française au Canada, pour le no de janvier 1932.

Ton anglais est excellent et je te conseillerais de t’essayer à écrire un article sur le mouvement littéraire d’expression française au Canada, pour l’une des grandes revues américaines. Tu as la chance de recevoir un chèque de 100 $. Ce n’est pas à dédaigner.

Je t’avertirai de mon prochain voyage à Montréal et tu prendras les moyens de me suivre. Tu ne regretteras rien, c’est moi qui te l’assure. Là-dessus,

Bonjour,

Alfred D.

Lettre 70

FHB 298/045/007 et FAD boîte 1, 1.014

le 8 février 1931

 

Mon cher DesRochers,

C’est encore moi, et cette fois encore avec un sonnet. L’accouchement a été dur, mais c’est venu. Et je te présente l’enfant. Est-il viable?

Quant au premier sonnet, il est possible que tu aies raison, et que je substitue « mener », ou « conduire », à « chercher ». Pour le troisième vers, devrais-je tenir à « malgré que j’aille », ou bien me consoler avec cette mollesse : « et bien que j’aille »? Si tu trouves une meilleure solution, envoie avec la facture.

Merci pour la botte d’éloges que tu m’envoies. Paul Morin trouverait que ce n’est pas flatteur. Sans doute que les trois quarts de mes lecteurs, si j’en ai jamais, ne comprendront pas. Mais tu sais que le titre du recueil est choisi depuis longtemps : Le plaisir de comprendre. Ceux qui ne savent pas lire n’auront qu’à s’en prendre à eux-mêmes.

J’ai hâte de voir le prochain Books Abroad. Si je t’en crois, nous allons voir là une nouvelle invasion de ces maudits Frenchmen. Et qui plus est, arrivant tout armés avec des armes saxonnes, la langue et l’intelligence de la langue. En passant, merci d’avance pour la note sur La Ferme. J’ai bien songé, de mon côté, à présenter l’Orford à ces messieurs, mais Rosaire Dion m’a devancé.

Je t’adresserai demain, du bureau, l’Enseignement Secondaire. Tu pourras garder la livraison. Je l’ai en double.

Là-dessus, j’attendrai le voyage à Montréal. Et je m’abandonnerai à ta conduite. N’abuse de ma faiblesse ni de ma candeur.

Et je te laisse. J’en suis rendu à t’écrire presque chaque jour, comme si tu étais une belle jeune fille, aux faveurs de laquelle je puisse espérer prétendre.

Saluts,

[H.B.]

 

De toi, j’ignorais tout

De toi j’ignorais tout, et je t’ai reconnue

Au milieu de tes sœurs belles comme les jours,

Et rien que de savoir ta tardive venue,

J’ai compris le néant de mes vieilles amours.

 

Pour moi seul, depuis lors, j’évoque ta main nue,

Ton regard de madone ombragé de velours,

L’opulence de ta jeunesse contenue,

Ta joue en fleur, ta bouche humide, tes seins lourds.

 

Ta trace disparut ainsi qu’une fumée,

Enfant chaste qui va par ton rêve charmée,

Dont l’ombre est une grâce et la démarche un art.

 

Je n’ai gardé de toi qu’une fuyante image,

À qui mon virginal désir veut rendre hommage,

Ô toi que j’eusse aimée, et qui naquis trop tard.

Lettre 71

FAD boîte 1, 1.014

[9 février 1931]

 

Re : sonnet Mon enfant

Je t’inclus une édition révisée.

Est-ce mieux?

Finalement, j’ai gardé « cherchera », au lieu d’adopter « mènera ».

Je me suis aperçu que ton verbe changeait trop le sens du poème.

À mon sens, je n’ai pas encore rencontré l’« objet »; je l’ai seulement pressenti, ou appelé, si tu veux.

Avec « mènera », tu présumes que tu es déjà l’esclave de la dame. Cela avait du sens avec la nouvelle allure que tu connais au poème. Avec ma conception du tout, cela ne tient pas debout.

Que dis-tu de mon troisième vers tel que corrigé?

Je crois que c’est la réponse passable, vu le nombre infini de pions qui se seraient nourris de « malgré que j’aille ».

Là-dessus, re-saluts.

 

Mon enfant, je t’apporte un cœur neuf, malgré tout,

Malgré la dureté de la route suivie;

Malgré mon pas lassé, qui va, sans savoir où

Ton désir cherchera mon ardeur asservie.

 

Ce cœur, je l’ai gardé simple, malgré le goût

De désespoir qui tord ma lèvre inassouvie;

Malgré les givres blancs fleuris au milieu d’août;

Malgré l’orgueil, malgré l’amour, malgré la vie.

 

J’ai comme pressenti notre rencontre, un soir.

Et déjà je montrais, te priant de t’asseoir,

La place qui te fut de tout temps désignée.

 

Car j’eus toujours l’espoir naïf d’un humble toit,

Où la paix serait d’ombre et de douceur baignée,

Comme si j’avais su que je marchais vers toi.

Lettre 72

FHB 298/045/007

[9 février 1931]

 

Mon cher Bernard,

Tu as raison pour « conduire » quoique j’aurais employé l’expression par excellence du peuple : « mener ». Il faut être très sûr de soi pour affirmer qu’une expression n’est pas française. J’avais cette sûreté jusqu’à 20-22 ans. Aujourd’hui, sauf « là-où » que Hugo, Montaigne et une foule d’autres ont employé, rien ne me scandalise.

Bonjour, D.

P.S. En ces temps de crise, on se sert des « communiqués » de manufacturiers comme tu vois.

Lettre 73

FAD boîte 1, 1.014

9 février 1931

 

Mon cher,

Je te renvoie le sonnet.

Édition revue et corrigée.

Si ce n’est pas encore la trentième merveille, j’élimine du moins ce non-sens : virginal désir.

Que dis-tu de cette coupe :

3                    4                      5

Ta bouche,/ ta joue en fleur,/ tes seins déjà lourds

À première vue, cela sonne faux.

Examine un peu, et tu verras que ce n’est pas si bête.

Naturellement, l’oreille n’est pas habituée, et il y a contre nous tous les préjugés.

En tout cas, il me faut, au surplus, « tes seins déjà lourds ».

« Tes seins lourds » exprimait presque de la décrépitude, du moins de l’âge. Avec « déjà », j’exprime l’idée de la jeunesse, la jeune fille formée, aux formes déjà accusées, qui est devenue femme.

Ai-je  ta bénédiction?

Est-ce que le sonnet, dans l’ensemble, est trop osé pour nos philistins?

En tout cas, si des éditeurs trop chatouilleux ne s’y opposent pas, je n’aurai pas de scrupule à l’imprimer.

Mon vieux, je te la serre.

Au prochain.

9-2-31

 

De toi j’ignorais tout…

De toi j’ignorais tout, et je t’ai reconnue

Au milieu de tes sœurs belles comme les jours;

Et rien que de savoir ta tardive venue,

J’ai compris le néant de mes vieilles amours.

 

Pour moi seul, depuis lors, j’évoque ta main nue,

Ton regard de madone ombragé de velours,

L’opulence de ta jeunesse contenue,

Ta bouche, ta joue en fleur, tes seins déjà lourds.

 

Ta trace disparut ainsi qu’une fumée.

Enfant chaste qui va par ton rêve charmée,

Dont l’ombre est une grâce et la démarche un art.

 

Je n’ai gardé de toi qu’une ondoyante image,

À qui mon automnal désir veut rendre hommage,

Ô toi que j’eusse aimée, et qui naquis trop tard.

Lettre 74

FHB 298/045/007

Sherbrooke, 10 février 1931

 

Mon cher Bernard,

Tu vas me « refourrer » dans l’ornière littéraire, avec tes tentations! Ça me fouette de voir des gens « qui font pas mal », quand je ne fais rien. Et ton dernier sonnet n’est pas mal.

Il y a naturellement la différence de point de vue. Tu aimes les vers fluides, moi, je les aime compacts. Mais, comme je m’évertue à le répéter, je me crois assez intelligent pour comprendre le point de vue de l’autre.

Ce qui fait que malgré la dureté du vers, j’aurais mis « indistincte » au lieu de « fuyante » ou « ondoyante ». À part ce mot, le dernier tercet est parfait à mon point de vue. Quant au reste, s’il avait la directness de ce tercet, il serait ce que je considère la perfection. Mais comme Anaxagore le disait, la vérité est relative à l’individu – en art.

Lors de notre prochain voyage à Montréal, nous irons, toi, Annette LaSalle et moi, dîner chez l’abbé Melançon. Il prépare des salades à ramener les agonisants, et il fait de maudits beaux vers. Ajoute à cela, une compagnie intelligente, et dis-moi s’il existe un plus parfait bonheur sur cette terre.

À propos de Mgr Roy, les corrections qu’il t’indique, me semblent simplement de la lourdeur. Je vais finir par croire, comme Pelletier, que les universitaires n’ont jamais su ce que c’était qu’une phrase vivante. Le soleil luit pour tout le monde, les petits comme les gros, ne me semble pas plus nécessiter de « pour » que moi de barbe.

Et puis tous ces gens-là n’ont-ils jamais appris, dans leur vie, qu’il peut exister une chose telle qu’un procédé de composition, et que si un auteur choisit de raconter une histoire aussi naturellement qu’un homme du peuple la conterait, c’est son affaire.

Ta Juana va s’attirer des réprimandes pour les mêmes raisons, mais envoie les grincheux au diable, puis pour ton amusement et l’ébahissement des critiques, écris ton histoire du vieux docteur à la romantique. Il n’y a rien de plus facile.

Et si tu te trouves fourré avec quelques descriptions, lâche-moi un siffle : je t’en broderai une avec des images comme Valdombre lui-même n’en pourrait sortir. Ça, ça serait une idée : un roman en collaboration : Bernard-DesRochers. Mon passé me permettrait de prendre à ma charge tous les passages scabreux…

Si le projet t’intéresse, nous en reparlerons. Ça m’amuserait énormément. Je n’ai pas le temps ni l’esprit à bâtir un scénario de roman, mais je crois que je pourrais sans trop de peine trousser quelques passages du terroir, surtout du terroir d’il y a une quinzaine ou vingtaine d’années, même. Arrange ton histoire pour qu’une partie de l’action se déroule dans les « entours » de Sherbrooke, comme dirait feu Henri d’Arles et nous allons nous payer la tête de tous les critiques du pays.

Pour en revenir au premier sonnet, je trouve : « Bien que j’aille » grammatical et inepte. « Malgré que j’aille », comme je te le disais la première fois, ne me répugne pas. Seulement, mon cher, tu as la réputation de ne pas savoir ton français, parce que tu t’acharnes à prouver que tu le sais trop. Je sais que Rosny et une infinité d’autres emploient « malgré que » avec n’importe quel subjonctif, mais la grammaire des pions, la seule qu’on connaisse au pays, affirme que la locution est tombée en désuétude. Alors que veux-tu que j’y fasse?

Bon, saluts,

Alfred D.

Lettre 75

FHB 298/045/007

[reçu le 14-2-31]

 

Re 3e sonnet : Superbe. Pas un mot à changer. Soumets-le au concours des sonnets pour te rincer la bouche d’une « réjection ». Faut bien se rendre compte à quel point sont bêtes nos contemporains.

Re  3e version : Mon enfant. Je suis toqué. Si tu apportes ton cœur à quelqu’une il faut que tu l’aies vue d’assez près pour savoir que c’est elle. Autrement, ce sont des vers « À l’Inconnue », genre Alice Lemieux et Éva Sénécal. As-tu dit du mal des vers de ces charmantes enfants? Dans ce cas, il me semble qu’il faudrait recomposer le sonnet et dire que tu sais qu’ELLE existe, « Puisque », malgré, etc.

J’ai comme pressenti notre rencontre, un soir, mais pour te souvenir de ce pressentiment, il faut que le « fait » te le rappelle, à mon point de vue.

Suggérer plus qu’on en dit, c’est mon idéal de la poésie; mais il en faut dire assez pour que la suggestion se développe dans le sens du poème. Je t’avoue que du premier coup, je n’avais pas du tout compris que la rencontre était à venir. Pourtant, il me semble que je sais lire l’écriture moulée assez couramment! Enfin…

Quant à Mgr Roy, re : « on », ma grammaire dit : quand le sens indique clairement plusieurs, l’attribut se met au pluriel : « On est tous égaux devant la loi » – En lisant L’Homme traqué de Francis Carco, Grand prix de l’Académie, 1922, j’ai lu, hier soir : « On est faits ». Quelque bons jours, il faudra que j’écrive une chronique sur nos « puristes ». J’en collectionne des corrections : l’autre jour, un bonze affirmait que « plus d’un » commandait le pluriel and so on…

Viens-tu à Québec, demain? Chiart annuel de la S.P.C.F. J’y vais avez Robidoux. Nous avons retenu une « suite » au Château-Champlain, où il y aura des enguirlandages, après le banquet. Viens donc.

Saluts,

DesRochers

Lettre 76

FAD boîte 1, 1.014

[17 février 1931]

 

Mon cher,

Je t’envoie ici copie de la lettre-colis que j’expédie ce jour-même à Mgr Camille.

Tu voudras bien me la retourner, après en avoir pris connaissance.

Tu me diras aussi ce que tu en penses, s’il y a lieu.

Je répondrai un peu plus tard à tes observations.

Pour le moment, je suis trop pris.

Je n’ai pas pu aller à Québec, pour la bonne raison que j’étais à Montréal quand ta lettre m’est arrivée.

À Montréal, je suis en pourparlers avec un vieux journaliste anglais, très cultivé, en français comme en anglais, qui veut traduire La Ferme des pins et lancer le livre à New York.

Beaux rêves!

Saluts,

17-2-31

Lettre 77

FHB 298/045/007

Sherbrooke, 18 février 1931

 

Mon cher Bernard,

Si tu n’as pas adressé ta réponse à Mgr C. Roy, au nom des lettres canadiennes, ne lui fais pas parvenir.

Tu as raison sur presque toute la ligne; mais il ne faut pas que tu commettes la bêtise de dire à l’OFFICIALITÉ de notre province qu’elle est bête.

D’ailleurs ces polémiques n’ont jamais rien avancé. Nous devons en prendre notre parti, nous les écrivains « créateurs » : nous ne connaissons rien, parce que nous sommes capables de faire quelque chose.

Il serait excellent que tout ce que tu dis là soit dit; seulement, il faudrait que ce soit par un autre que Bernard. Je te confie même que j’ai commencé un article, pour la page littéraire de La Tribune qui doit commencer à paraître prochainement, article intitulé : « L’ignorance (?) de nos écrivains créateurs » dont le motif inspirateur est justement la mesquinerie qui a accueilli ta Ferme des pins.

Mais s’il en est encore temps arrête ta lettre et permets-moi de reprendre à mon compte à peu près tout ce que tu dis. Mais les écrivains de valeur sont les seuls êtres dans notre enfant-de-chinois de pays que le ridicule peut tuer. Tu n’es pas déjà si bien partagé du côté louanges, pour te permettre de voir ton nom « barré » à tout jamais des seules revues pénétrant dans nos maisons d’enseignement secondaire où se trouve le seul public acheteur de la province.

Nous avons droit de penser que nos détracteurs ne pourraient pas faire le quart de ce que nous faisons; mais nous n’avons pas le droit de le dire encore. Dans son Histoire de la littérature canadienne, Mgr C. Roy t’a bien traité; pardonne-lui d’avoir lu La Ferme des pins après l’absorption d’un Bromo-Seltzer. Ne fais pas comme Lévesque, qui est en train de se mettre tout le monde à dos, y compris les auteurs qu’il édite, par ses manières trop tranchées. N’oublie pas qu’avoir un cerveau dans la province de Québec est une quasi-infirmité honteuse.

C’est Jacob Nicol, président du conseil législatif et futur lieutenant-gouverneur de la province qui le dit : « Il ne faut pas casser de vitres pour arriver dans la province ». Casser des vitres, c’est beau mais personne ne s’en aperçoit ici. Nous reparlerons de tout cela quand nous serons moins pressés.  Mais écoute-moi. N’envoie pas ta lettre, et si elle est partie, fais-la revenir avec tes excuses. Tu ne le regretteras pas.].

Alfred D.

Lettre 78

FHB 298/011/001 et FAD boîte 1, 1.014

[18 février 1931]

 

Mon vieux,

Veux-tu jeter à la poste pour moi, à Sherbrooke, la lettre ci-jointe.

Histoire de rire un peu.

J’envoie au concours un sonnet de Saint-Hyacinthe, un de Sherbrooke, un de Montréal.

Je voudrais arriver premier, second et troisième, et me trouver dans le couloir pour voir la binette de ces messieurs.

Mais il est probable que j’arriverai en queue.

En tout cas!

Saluts et merci.

Lettre 79

FHB 298/045/007

19 février 1931

 

Mon cher Bernard,

C’est fait.

Tu auras de RUDES concurrents dans la section sonnets.

Je t’inclus un projet de sonnet à soumettre.

J’en ai une dizaine d’autres en tête.

J’ai pris une brosse royale à Québec samedi et j’ai retrouvé toutes mes facultés littéraires. J’achève ma cinquième page simple espace sur les Carquois de Pelletier.

Tu n’es pas trop piqué de ma semonce d’hier.

À propos de « on ». J’ai relu les divers passages de Carco, hier. C’est pis que pendre pour Mgr. / Carco écrit : « S’ils ne nous voient pas, on passera; s’ils nous voient, on est faits »… ou quelque chose comme cela. Si tu veux le livre, je te le jette à la poste. Dis-moi que tu t’es bien amusé à Montréal, et continue à écrire. Juana se porte bien, mais me trouve l’homme le moins à femme du monde. Ce qu’elle va penser de moi. Mais je te donne ma promesse que je lui entreprends ma cour prochainement. J’ai à lire La Chair Décevante de Jovette, qui veut confier son manuscrit à l’imprimeur samedi. Après Didi Lanteigne, j’entreprends Juana. Vous me pervertirez!

Saluts.

Alfred D.

 

Je vous offre

Je vous offre un amour naïf de mains d’enfant

Mélancolique et solitaire, un amour gauche

Qui ne sait pas finir le geste qu’il ébauche;

Qui, s’il a fait souffrir, a pleuré plus souvent.

 

Je vous offre un amour peureux, qui se défend

D’avoir peur; qui voudrait qu’on prenne pour débache [sic]

Ses gros mots au dada que dans l’ombre il chevauche

Et masque son dépit d’un juron qui surprend.

 

Et cet amour unique, à la fois fol et sage,

Aussi divers, aussi neuf que le paysage

Dont se revêtait l’Île, au soir où nos chemins

 

Ont confondu leurs cours jusqu’alors parallèles,

Je n’ai pour vous l’offrir qu’un corps d’homme, et des mains

Sales de contacts noirs et d’étreintes charnelles.

Alfred D.

Lettre 80

FAB 298/011/001

Sherbrooke, 23 février 1931

 

Mon cher Bernard,

J’ai tenu ma promesse à Juana. J’ai passé toute une après-midi en sa compagnie et je me suis permis de faire des annotations dans les marges trop étroites du malcommode papier où elle est embaumée.

C’est ton roman le plus solidement étoffé encore. Je t’inclus un feuillet où j’ai noté quelques réflexions désagréables faites en cours de lecture, en plus de celles qui se trouvent sur ton texte.

Ta phrase est trop volontairement dépouillée de tout ornement. Je sais aussi bien que toi que c’est la mode d’aujourd’hui; qu’aux États-Unis, Hemingway et ses suivants se font un devoir de tordre le cou à l’éloquence, mais – et tu ne me sembles pas l’avoir complètement évité – le danger de cette méthode, c’est que le tour de phrase devienne standardisé. Quand on a lu une dizaine de pages, on a tellement ta syntaxe en tête qu’on perd tout espoir d’imprévu.

Je ne suis pas assez idiot pour croire que c’est causé par une incapacité. C’est un procédé d’écriture, je le sais; mais je m’étonne que tu te foutes autant de l’opinion des autres sur le côté style et que tu ne consentes pas à te payer la tête du public « intelligentzia » par quelques fumisteries.

Tu viens de renouveler complètement ta pensée et tes domaines d’intérêt en abordant l’amour et la psychologie féminine, où tu fais des notations d’une finesse peu accoutumée au pays; renouvelle donc ton style, maintenant. Il ne s’agirait que de tourner différemment une phrase ici et là, de fondre ensemble trois ou quatre de tes phrases nerveuses en une période pulpeuse; de changer quelques épithètes de place et le tour serait joué.

Il me semble aussi que les 24 premières pages devraient être fondues en 12 tout au plus, bien que j’aie lu ces pages avec intérêt; mais je ne suis pas juge, moi, qui trouve autant de plaisir à la technique qu’à l’essence d’un roman ou d’un poème.

Enfin, tu m’as demandé de t’être désagréable; j’y ai mis ma conscience de terrien. Si je n’ai pas noté tous les passages qui m’avaient ravi, c’est que je te sais assez intelligent pour connaître quels ils sont. Et je pense de Juana comme de La Ferme des pins, que c’est une œuvre qui domine toute la production romancière du pays.

Bonjour, et dis-moi que tu te sacreras de mes remarques.

Alfred D.

 

Tu souffres d’un simplicity complex. Tu es trop avancé pour tes compatriotes. La rhétorique a du bon. Tu oublies qu’on lit pour se tirer du réel. Tu écris comme on parle dans un pays où…est un grand homme

Mon opinion candide : tu fourres à moitié trop d’incidentes dans tes phrases. Elles n’ont aucune tendance libelleuse. Pas besoin de tant d’amoindrissement!

Je reconnais à chacun le droit au procédé d’écriture, mais ton omission de la conjonction « et » devient « étrivante » à la longue.

Ton rejet constant d’épithètes en paire après le verbe rend ta phrase monotone.

L’omission de « pas » dans les formules négatives est trop fréquente…

Je trouve que pour un journaliste, Châtel prend bien du temps à parler de ce qui est la « nouvelle » : un simple hint à la page 24, puis il faut attendre à la page 33 pour entendre le nom de Juana.

Passé la page 85, ton m… roman m’a joué le même tour que tous les bons romans : il m’a rajeuni de 20 ans et j’ai lu pour l’histoire simplement.

Ta Juana est une fichue folle, comme toutes les femmes, et Raymond est aussi bête que ton serviteur. Toute ton histoire est aussi stupide que la vie elle-même.

Et tu as un maudit papier…

Lettre 81

FHB 298/011/001 et FAD boîte 1, 1.014

le 26 février, 1931

 

Mon cher Desrochers,

Enfin, me voici.

Si j’avais su que j’aurais de tels concurrents au concours, j’aurais gardé pour moi mes sonnets. Je voulais m’amuser un peu, sans plus. Enfin, on s’amusera ensemble. Et si tu empoches la médaille, je ne serai pas jaloux. S’il s’agissait de 100 $ ce serait peut-être un peu différent. Encore que…

J’ai écrit à Mgr Roy. Je lui ai dit de ne pas publier. Mais je ne lui ai pas fait d’excuse, et j’ai bien l’intention de ne pas en faire. Dans ma lettre, je me suis expliqué comme suit : « Il est possible que je n’aie pas assez tenu compte, en vous demandant d’insérer dans l’E.S., du nom de son (la lettre) destinataire. » Il prendra cela comme il le voudra. La phrase est telle que toutes les interprétations lui sont permises.

Je tiens compte de tes remarques sur Juana. La plupart des corrections indiquées seront faites. Mais je me demande si tu n’as pas négligé de corriger, à partir de la page 85? Il n’est pas sûr que je refasse en douze pages le premier chapitre; j’ai mes raisons. Au surplus, je garderai ma prairie française; c’est là une concession que je fais aux patriotes. En d’autres termes, c’est là une partie de ma publicité. Pour le reste, je te remercie. J’aurais seulement désiré que tu fusses plus sévère. La sévérité est plus féconde avant la publication qu’après.

Tu sais encore faire le vers, quoi que tu en dises. Seulement, tout cela me semble un peu lâche, pas assez serré. Je me demande si tu travailles assez? Ou si tu ne te fies pas trop à ta facilité? Fais attention à ça! Il y a de très beaux vers, mais aussi des hémistiches bien mous. Si cela te fait de la peine, mets que je n’ai rien dit. Sache seulement que je veux ton bien, et que je n’ai jamais eu, moi, aucune espèce de jalousie littéraire. Il y en a tant, mon vieux, et qui se disent nos amis, qui n’en pourraient jurer autant.

Re : sonnet Mon enfant, je crois que tu as raison. Je l’ai repris encore une fois, et je me suis rallié à « mènera ». Es-tu content? J’ai aussi changé quelques termes, ça et là.

À part de ces détails, le calme plat. Je n’ai plus fait un seul vers. Je n’en ai pas le goût, ni le courage. J’en suis toujours à me demander : à quoi bon? Quand je pense au charivari qu’un recueil de moi peut causer parmi les bonnes et paisibles gens de notre pays! Vois-tu déjà tous les horions qu’on me prépare?

J’étais encore à Montréal samedi dernier. Je ne te ferai pas de compte rendu. Je n’ai pas vu Lévesque, qui était malade. Il m’aurait fallu me rendre chez lui, mais je n’étais pas libre. Il doit être mieux depuis, puisqu’il a prononcé au Windsor une conférence b.s. comme oncques n’en vit-on en notre pays. Tu as peut-être eu vent de la chose, par les journaux.

Là-dessus je te laisse, avant que je commence à dire du mal de mon prochain. Je te remercie du mal que tu t’es donné, quant à Juana. Je l’embrasserai pour toi, à la prochaine occasion.

Mes saluts.

Harry B.

Lettre 82

FHB 298/045/007

Sherbrooke, 28 février 1931

 

Mon cher Bernard,

Si tu veux me renvoyer Juana, je te promets de la maltraiter encore plus durement que Mgr Camille Roy, si ça peut te faire plaisir. Ça me répugnera, naturellement, car j’ai pour principe que rien n’étant parfait en ce monde, il faut employer autant de son temps à chercher le BON qu’à subir le MAUVAIS; mais enfin, on a des amis pour les embêter…

Tu ne connais pas DesRochers, mon cher, si tu t’imagines que je m’offusque des remarques qu’on fait sur mes vers. Je me flatte d’en connaître les faiblesses plus que tout autre, et ni toi ni le plus atrabilaire des Zoïles n’en peuvent dire autant de mal que je pense de tout ce que j’ai écrit. Le sonnet que je t’ai fait voir a des tercets qui sont nuls et des quatrains bien enchevêtrés. Il n’y a que le premier vers que j’aime foncièrement et je sais que la plupart des critiques ne le comprendront pas. Mais je m’en fous.

Et je te répète une proposition que je t’ai déjà faite. C’est peut-être de la présomption de ma part, mais je crois qu’en faisant l’addition de nos qualités et de nos défauts d’écrivains, nous sommes des « pairs ». Mes défauts corrigent l’excès de tes qualités et vice-versa. Je crois aussi que nous sommes parmi les écrivains les plus équilibrés du Canada, sinon les plus équilibrés absolument.

Alors, si nous arrêtions l’intrigue d’un roman et que nous « écrivissions » ce roman en collaboration? Je suis à peu près sûr que nous pourrions ensemble écrire le roman le plus solide de notre littérature. Pourquoi ne prendrions-nous pas comme thème, par exemple, ou mieux comme leitmotiv de ce roman, notre hiver canadien? Nous avons tous deux une maîtrise assez étendue de la suggestion pour bâtir un livre où la présence de l’hiver deviendrait une chose concrète.

Nous connaissons tous deux passablement la vie de nos campagnes; nous pourrions entrelacer des scènes de vie dans la forêt, chez les bûcherons, et des scènes de la vie sur les fermes, quand l’homme est aux chantiers. Nous sommes l’un l’autre au courant de la technique du roman contemporain suffisamment pour réussir une telle œuvre.

Maintenant l’idée me traverse la tête que tu pourrais t’objecter à cette collaboration du fait que tes livres ont été plutôt mal accueillis du public et que le mien a été gâté. Tu peux croire que si le livre sorti d’une telle collaboration obtenait quelque succès que j’en aurais tout le crédit. Oh! alors, mettons que je n’ai rien dit. Je te croyais assez assuré de ta personnalité pour ne pas craindre une telle chose. Tu as peut-être raison. Dans la collaboration, il y en a toujours un qui prend toute la couverture.

N’empêche que je persiste à croire qu’une collaboration entre nous deux serait des plus fructueuses. Mais chacun est bien libre d’avoir ses opinions.

Lévesque me semble avoir rebâché  bien des clichés funestes dans sa causerie sur les « clichés » funestes… Nous reparlerons de tout cela, quand il te plaira de venir faire un tour.

En attendant, je te félicite d’avoir retiré ta demande de « rétractation » à l’E.S., mais je serais bien plus content si tu ne l’avais pas envoyée.

Au plaisir de te lire.

Alfred D.

Lettre 83

FAD boîte 1, 1.014

[1er mars 1931]

 

Mon cher, Voici un quatrième sonnet. Que vaut-il?

Puisque tu veux bien être assez aimable pour t’en charger, je te renverrai Juana en te confiant la mission de la nettoyer pour le grand public.

Je te la confie surtout au point de vue du français, barbarismes, solécismes, impropriétés, images fausses, anglicismes et cataclysmes.

Naturellement, je me réserve le droit de ne pas tenir compte de tes indications. De temps à autre, je ferai les corrections indiquées. Et je passerai pour bien écrire ma langue, grâce à toi.

Ton projet de collaboration a du bon et du moins bon. Je n’y souscris pas encore. Il faudrait que je t’en parle longuement. Mais, comme tu l’as deviné, je suis trop mal « coté » pour que tu prennes des risques avec moi. Et puis, à part de tout ça, je n’ai guère le goût de faire un autre roman. Pas pour quelque temps, du moins. Je me demande même si je ne pourrais pas trouver un autre moyen de perdre mon temps. Pour ce que les Canayens estiment nos efforts. Juana est écrite, mais elle n’est pas encore sous forme de livre. Je me demande même si je n’essaierai pas de lancer le livre à Paris plutôt qu’ici. Un échec là-bas sera aussi bon, en somme, qu’un succès ici. Et si l’on avait là-bas le moindre succès, cela pourrait être intéressant. Penses-tu que l’ouvrage pourrait plaire au public français? J’étudie actuellement la proposition. Naturellement, je te demande de ne rien dire à personne de cela, et surtout à Lévesque.

À part de ça, c’est moche. Je veux toujours aller à Sherbrooke, mais n’en vois jamais le temps.

Mes saluts.  B.

Dimanche soir 1-3-31.

 

Nous n’avons retrouvé l’orgueil, la plénitude

Ni le saisissement de nos premiers émois;

Nous n’avons pas repris les gestes maladroits

Qui marquaient notre neuve et double servitude.

 

C’est qu’entre nous déjà se glisse l’habitude,

Et que nous n’avons plus nos âmes d’autrefois;

Le bel amour que nous portons depuis des mois

Est un enfant trop lourd à notre lassitude.

 

Nous rêvions d’un bonheur toujours à son printemps;

Nous étions trop naïfs, nous étions trop contents

L’un de l’autre, et trop sûrs d’une ardeur éperdue.

 

Tu me donnes encor tes lèvres et tes yeux,

Je t’aime comme hier et ne puis t’aimer mieux,

Mais je sais que je t’ai plus qu’à moitié perdue.

 

Lettre 84

FHB 298/045/007

[mars 1931]

 

Je t’attendrai, on t’attendra

Quand tu pourras, tu m’le diras.

Lévesque a passé l’après-midi et la soirée de dimanche à la maison. Plusieurs discussions intéressantes.

J’achève de « souiller » Juana.

Je te la renverrai au cours du mois.

Je rimaille des babioles; je t’inclus un spécimen qui date d’hier.

J’espère que le printemps te remplit.

Au plaisir de te voir sourdre.

P.S. : Cette semaine, c’est le numéro des Modes. Excuse la brièveté.

 

Par cet après-midi de mars…

Par cet après-midi de mars clair, la vie et tes joues

Se confondent dans un même rose. Tu joues

Avec mes souvenirs, mes doutes, mes soucis,

Et le passé devient de moins en moins précis.

 

J’ai peut-être souffert de l’amour, et peut-être

Que sa douleur encor lancinera mon être,

Mais je n’ai nul désir de me le rappeler :

Je suis tout à la joie exultante d’aller

En songeant que ta main frôlera mon visage

Dans quelques jours, puisque le vernal paysage

Ensemble est tiède et frais, comme sont tes cheveux,

Quand je pose mon front sur ton cou duveteux.

 

Lettre 85

FHB 298/045/007

Sherbrooke, 3 mars 1931

 

Mon cher Bernard,

Avec les vers au fils qui n’est pas venu, ton quatrième sonnet est le meilleur poème que j’aie lu de toi, et incidemment, l’un des meilleurs que j’aie lus de toute ma vie. Ce sonnet exprime une pensée vraie, il est composé. Si j’en étais l’auteur, je n’y toucherais plus que pour le donner à l’imprimeur. Mais tu veux que je sois difficile. Alors, il semble qu’il faut un « pas » dans le premier vers. Et je me demande si « lassitude » est bien le terme qu’il faut au quatrième vers du 2e quatrain. À part de ça, j’ai beau relire ton sonnet, je le trouve parfait. Si tu n’en es pas content, c’est que tu as plus de goût que moi.

J’entreprendrai prochainement JUANA avec un crayon rouge, à condition que tu t’en tiennes à la quatrième clause de ta lettre : « Je me réserve le droit de ne pas tenir compte de tes indications.. » Ce que je t’exprimerai, ce sont des opinions personnelles. Je n’ai pas encore – ou mieux, je n’ai plus – la fatuité de croire qu’elles valent mieux que celles d’un autre, sauf sur ce que j’écris moi-même. Le meilleur juge d’un ouvrage, s’il n’est pas un imbécile, c’est l’auteur.

À propos de la collaboration, je songeais moi-même à faire éditer le produit en France. Je serais prêt à sacrifier mes droits d’auteur pour le lancement. Et je serais aussi riche qu’en publiant au Canada. Je t’ai proposé la collaboration, parce que je crois qu’ensemble, nous pourrions écrire un roman qui subisse la comparaison sans peine avec les romans un peu supérieurs à la moyenne qui sont publiés en France. L’air de paternalisme que prennent les critiques français envers nos livres – paternalisme que la naïveté, pour ne pas dire l’ignorance de Simone Routier, arrose copieusement, m’horripile.

Il serait temps que nous prouvions que nous savons aussi bien le métier littéraire et que nous avons autant de talent que les « décréteurs » de Paris, genre Gaston Picard, que Simone gobe et qui écrit avec ses pieds.

Je t’attends pour reparler du sujet. Bonjour.

Alfred D.

Lettre 86

FHB 298/045/007 et FAD boîte 1, 1.014

le 4 mars 1931

 

Mon cher Desrochers,

C’est épatant de te voir découvrir des chefs-d’œuvre. Et l’on dirait, à t’entendre, que tu es sincère. Serais-tu un peu beaucoup rasoir? En tout cas, je te remercie des compliments. Pour ma part, je n’étais pas trop enchanté de certaines parties du sonnet. Enfin. Quant aux remarques, je ne mettrai pas de « pas » dans le premier vers, parce que cela alourdirait trop la phrase, étant donné le « ni » qui se trouve au début du second vers; essaie toi-même de lire la phrase avec un « pas! »  Quant au mot « lassitude », j’avais songé d’abord à lui substituer « quiétude », puis j’ai gardé « lassitude ». L’un et l’autre veulent dire quelque chose, mais pas la même chose. Ceci reste à discuter. On pourrait envoyer le poème à Simone Routier, pour faire trancher la difficulté. En passant, puisque nous y sommes, je me suis remis à lire le mortel adolescent, mon grand couteau à la main, celui que j’applique à tes poèmes et aux miens. Entre nous, les vers de la demoiselle ne résistent guère à l’épreuve. J’ai rarement vu aussi pourri. Cela, c’est mon appréciation sincère, pas mon appréciation officielle. En d’autres termes, c’est mon appréciation pour toi, pas pour le commun. J’ai aussi relu en partie le Paon d’émail. Il n’y a pas à sortir de là, Morin est un artiste; il sait son métier, et bien plus que la moyenne même des poètes français. Seulement, il est sec et vide. Je ne crois pas qu’il y ait dix idées dans le recueil. On lit et on ne prend aucun plaisir à la lecture. Des mots.

J’ai essayé de te faire un cinquième sonnet, mais j’ai manqué mon coup. Au vrai, je n’avais rien à dire. Alors, j’ai trouvé sage de me la fermer. Et j’ai déchiré mon papier.

Je te remercie pour Juana, qui t’embrassera à l’occasion. Quant à l’autre projet de roman, nous en reparlerons. Mais je t’avoue que je n’ai pas grand cœur à l’ouvrage. Il y a des moments où j’ai envie de tout plaquer là.

Je te laisse ici. Je suis au bureau et les hommes crient après moi. Mes saluts chez vous.

Tibi,

[H.B.]

Carte postale 87

FAD boîte 1, 1.014

Boston, 14 mars 1931

 

Mon cher,

Je ne suis pas à Sherbrooke, pour la bonne raison que je suis ici. Mais je finirai par atteindre Sherbrooke même après ce long détour. J’espère que tu es bien. Je n’ai rien fait depuis le dernier sonnet. Vidé. Mes saluts chez vous.

Harry B.

Lettre 88

FHB 298/045/007

Sherbrooke, 8 avril 1931

 

Mon cher Bernard,

Ce ferait infiniment mieux mon affaire, si tu venais samedi au lieu de vendredi, car nous sommes pris dans un lacis de besognes abominables.

J’aurais moi aussi une infinité de choses à discuter avec toi.

Je n’ai pas concouru au concours de la S.P.C.F., section sonnet; je me suis contenté de soumettre À l’Ombre de l’Orford, dans la première section.

Si tu ne peux pas retarder ton voyage à samedi, alors viens vendredi, mais je t’avertis que je n’aurai pas grand temps à disposer ce jour-là. Samedi, je puis pratiquement te donner toute ma journée – et en retirer les bénéfices.

Bonjour

D

Lettre 89

FHB 298/045/007

22 avril 1931

 

Mon cher Bernard,

J’espère que tu n’attends pas après la Comtesse de Lamballe pour dormir. Imagine-toi  que depuis ton départ, nous cherchons ce fichu de volume et nous ne pouvons le trouver. En désespoir de cause, et comme le livre m’intéresse, je t’en achète un autre exemplaire, que je t’expédierai en même temps que les volumes anglais et les aventures d’amour et de gloire du Maréchal, duc de Richelieu. Nous retrouverons la comtesse un bon jour et je la garderai.

Tu seras à la soirée des auteurs, vendredi? Je me suis arrangé avec l’abbé Melançon, pour que nous allions dîner ensemble à son presbytère, samedi midi. Le R.P. Lamarche et Mlle Annette LaSalle seront probablement de la partie.

Après ton départ, du moins il me semble que c’est après, j’ai fait un sonnet de circonstance que je t’inclus. Tu m’en diras ton opinion. Il paraît qu’à l’Alma Mater on l’a lu à la lecture de notes et que tout le monde a proclamé que c’était un chef-d’œuvre. Je trouve que le dit sonnet est bon à rien. Ce qui t’encouragera à prendre mes appréciations sur tes vers : nul n’est juge en sa propre cause.

 

À l’Alma Mater

Le Collège Séraphique des Trois-Rivières

 

J’ai revu le collège où, sourde à la clameur

Qu’au milieu des cités lancent les multitudes,

Ma jeunesse écoutait l’appel des altitudes

Et rêvait de vouer l’avenir au Seigneur.

 

J’ai humé (au sens forcé de respiré, mais le vers n’a que 12 syllabes) de nouveau cet air plein de ferveur,

Où les saints dévouements deviennent habitudes,

Et sous les traits sereins de compagnons d’études,

J’ai reconnu la face auguste du bonheur.

 

(à propos du quatrain précédent)

Aimerais-tu mieux :

Respirant de nouveau…

J’ai, sous…

Reconnu le visage auguste…

 

Moi, je n’aime ni l’un ni l’autre…]

Malgré ce qui s’efface et malgré ce qui change,

Malgré l’isolement, le blâme ou la louange,

Et malgré les espoirs que la vie a déçus,

 

Mon cœur et mon esprit alors ont cru revivre

L’instant inoubliable et transitoire, où j’eus

La révélation du devoir et du livre.

Lettre 90

FAD boîte 1, 1.014

[22 avril 1931]

 

Ne cherche donc plus la comtesse; je l’avais apportée. Je ne t’ai confié que les volumes anglais. Ton sonnet n’est pas si mal. Une fois brossé un peu, je le trouverais présentable et pas plat du tout. À demain.

Lettre 91

FAD boîte 1, 1.014

[23 avril 1931]

 

Mon cher,

Tu vas à Montréal samedi. Moi aussi. Je me demande si nous y allons pour les mêmes raisons? J’ai reçu, de Bruchési et Boissonnault  mère, une invitation à la réunion annuelle des auteurs  – pas des écrivains – canadiens-f. J’ai envie de m’y rendre. Ne serait-ce que pour voir de quel bois se chauffent ces carnivores. Je prendrai un siège tout en arrière de la salle, et j’essaierai de faire le moins de bruit possible. À Montréal, tu pourras m’atteindre chez Lévesque. Ou encore à 1651 St-Denis, Harbour 5920. C’est à deux pas de chez Lévesque. Mes saluts. B.

Lettre 92

FHB 298/045/007

Sherbrooke, 6 mai 1931

 

Mon cher Bernard,

Voici la sorte de sonnet qu’il faut écrire pour gagner des médailles à la S.P.C.F. Je t’inclus le prix gagnant, afin que tu fasses mieux, l’an prochain.

Je t’ai adressé tes livres, enfin, cette semaine. Je suis venu à bout d’y penser. J’ai aussi acheté un lot de livres anglais : Carlyle, Mrs Browning, Coleridge, Poe, Nietzsche, Modern Poetry, Thoreau, etc. Aussi le Fatal Interview d’Edna Saint-Vincent Millay et le Capital de Karl Marx.

Nous aurons chez M. Fortin, samedi 30 mai, une réunion des collaborateurs au numéro spécial de La Tribune. Je compte sur ta présence. Invitation en bonne et due forme suivra prochainement.

Je t’inclus aussi un sonnet de Bibi, fait la semaine dernière.

Au plaisir de te lire et d’apprendre que Juana se porte bien.

Alfred DesRochers

 

L’âme des bonheurs morts

L’âme des bonheurs morts prie au seuil de l’automne

Où s’attarde l’adieu des beaux jours inconstants;

Au cadran de l’oubli bat le cœur monotone

De l’heure qui s’en va sur les routes du temps.

 

Et dans le tiède accueil de l’âtre qui fredonne

La sylvestre chanson des fagots crépitants,

L’aïeul le bon aïeul longuement s’abandonne

Au lointain souvenir de ses premiers vingt ans.

 

Il songe aux matins clairs de son adolescence,

Où, parmi la fraîcheur des avrils étoilés,

Tressaillaient en son cœur mille serments voilés

 

Il songe… et par ce soir automnal qui s’avance,

Laissant couler ses pleurs trop longtemps recélés,

Croit qu’un dernier amour berce sa souvenance.

Ulric Gingras.

 

Sonnet couronné au concours de la S.P.C.F., 1931

Maturité         

Nous savons que la vie autour de nous s’applique

À ruiner d’avance, hélas! le souvenir

Que nous aurons les uns des autres, à ternir

Les trésors que nous tend l’illusion magique.

 

Nous n’empêcherons pas que vivre soit tragique;

Mais nous pouvons sans peur regarder l’avenir :

Soyons des êtres mûrs de penser et d’agir

Et que notre raison nous soit une musique.

 

Et c’est pourquoi, ce soir, Chère, si l’on te dit

Que je suis tel et tel et que je t’ai menti,

Tu ne souilleras pas de larmes ton visage;

 

Car, prometteur fautif d’un nouvel embarras,

Tu sauras qu’il te ment celui-là davantage,

Puisqu’il ne t’apprend rien que tu ne savais pas.

Alfred DesRochers

Lettre 93

FAD boîte 1, 1.014

[12 mai 1931]

 

Mon cher,

Ton sonnet ne vaut rien. Quand on veut faire de la poésie, on s’applique à extraire le suc de l’âme des bonheurs morts, qui prie au seuil de l’automne. Comprends-tu?

À propos, je mets en prose les 3e et 4e vers de l’Ulric : le cœur monotone de l’heure qui s’en va sur les routes du temps, bat au cadran de l’oubli.

Si tu peux me dire ce que cela signifie, je t’envoie les œuvres complètes, et reliées en peau de cochon, de tous les poètes canayans de la société, y comprises les tiennes.

Pour revenir à ton sonnet Maturité, il y a là des tournures syntaxiques qui me semblent bien acrobatiques. Si tu veux m’en croire, écris donc plus simplement. Ne fais pas ton petit Toulet. À part de ça, l’idée est bonne.

Je te remercie des livres, reçus en parfait état de conservation. J’ai lu à moitié Richelieu, dont j’ai d’ailleurs une autre biographie.

J’essaierai d’être là, le 30. Toi aussi? Quant à Juana, je ne l’ai pas revue. Elle aura grandi, quand je reprendrai mes attentions, et elle n’en sera que plus belle fille. Si, du moins, les choses suivent leur cours normal.

M. et Mme Lévesque étaient ici, dimanche et lundi. On a gueulé.

Je te la serre.

12-5-31

Lettre 94

FHB 298/045/007

Sherbrooke, 22 juin 1931

 

Mon cher Bernard,

Pour te distraire des poursuites dont on te claironne par le temps qui court, voici une lettre qui pourrait t’intéresser.

Fais-tu encore des vers? et les projets de roman, comment ça marche? Moi, je me débats dans la merd’huile  du marasme commercial. Je n’écris rien. Pas même de lettres aux amis ni aux charmantes enfants.

Mes hommages à Juana.

Alfred D.

Lettre 95

FAD boîte 1, 1.014

[fin juin 1931]

 

Mon cher,

Ton dernier communiqué m’intéresse fort.

Et j’ai écrit à cette demoiselle, lui disant où j’en étais de mes droits vis-à-vis de mes éditeurs.

Et je profite de l’occasion pour te remercier de la demi-page dans Books Abroad.

Je me demande seulement si tu n’as pas doré un peu trop la pilule, et si les Américains ne se feront pas emplir par toi.

Mais c’est aussi bien toi qu’un autre.

À part de ça, je ne fais pas de vers.

Mais je me suis mis au vert.

Je vis en campagne presque tout le temps, et j’initie ma fille aux choses de la terre, à la botanique, à la science des poissons, etc.

J’achève de refaire Juana. Tes corrections m’ont été fort utiles. Je te donne raison presque tout le temps. Je n’ai rien changé dans le plan, mais tu ne reconnaîtrais pas l’écriture.

Quand viens-tu à Saint-Hyacinthe.

Je te salue,

Lettre 96

FAD boîte 1, 1.014

[8 juillet 1931]

 

Mon vieux,

Je te remercie.

J’essaierai d’être à Sherbrooke pour le 18.

Il est probable que je serai seul.

Si, à la dernière minute, nous nous trouvons deux, nous apporterons nos sandwiches.

Est-ce que l’invitation comporte le supplice d’entendre la récitation des bonheurs morts?

Mes saluts.

8-7-31

Lettre 97

FAD boîte 1, 1.014

[29 septembre 1931]

 

Mon cher,

Je t’adresse le premier péché de la saison.

C’est d’un impressionnisme fort travaillé et fort obscur.

Je ne suis pas loin de croire que c’est pourri au suprême.

Enfin, je te soumets.

Si tu avais été chez toi, samedi, 18 septembre, au lieu d’être à Montréal, tu aurais eu le plaisir de ma visite.

J’espère pouvoir adresser, d’ici une quinzaine, Juana en robe neuve.

Mes saluts chez vous.

Je te la serre.

29-9-31.

 

Automne, douloureux automne, messager

D’amertume, de deuil, et de décrépitude;

Automne aux pieds d’argile, automne au doigt léger,

Qui naît de l’abondance et de la plénitude,

Je te hais dans ta force et tes brutalités.

Je n’ai pas su goûter le charme dont on pare

Tes arbres violets et tes ors veloutés;

Je n’ai jamais compris, en moi, qu’on te compare

À cette fille saine, au front pur, au grand cœur,

Qui marche, bras chargés de fruits et de ramures,

Vers l’appel glorieux d’un bel amour vainqueur.

Je te déteste, automne, en tes frondaisons mûres,

En ta couleur et le parfum de tes pistils,

En ton air tiède où le soleil tressaille et danse.

Moi qui ne suis qu’orgueils et que dédains subtils,

J’ai tenté d’accorder mon cœur à ta cadence,

Mon cœur et son désir, vaste comme la mort,

Que je nourris comme un enfant cher et farouche.

J’ai tenté de presser, moi qui me croyais fort,

Mon corps contre ton corps, ma bouche sur ta bouche,

Et je te hais, automne, après t’avoir aimé

Dans le tourbillon bleu de l’espace et de l’heure.

Je t’en veux de m’avoir, comme d’autres, charmé,

Femme dure, saison fausse, qui n’est que leurre

Et mensonge vivant dans la beauté du jour;

Je te hais de t’offrir, et puis de te reprendre,

Comme l’ombre qui passe et l’eau, comme l’amour,

L’amour humain, ton frère à la bouche de cendre.

Lettre 98

FHB 298/045/007

Sherbrooke, 3 octobre 1931

 

Mon cher Bernard,

Console-toi du déplaisir que j’ai eu de manquer ta visite, en te disant que le soir même, où tu vins, nous avons parlé en bien de toi, d’abord au Collège Séraphique, puis au Séminaire des Trois-Rivières, où je passais mon temps. J’étais en bonne compagnie, tu vois.

Ta pièce sur l’automne est d’une souplesse de sirène mais que d’idées fausses là-dedans! Aller comparer l’automne à l’amour, a-t-on jamais vu ça. La saison qu’il faut comparer à l’amour, c’est le printemps, avec toutes ses promesses qu’il n’entend pas tenir. L’automne ne te fait pas de promesse; elle  te dit la vanité de toutes les espérances et elle t’en console en te donnant de la beauté, de la beauté comme aucune autre saison ne t’en donne. Trouve-moi donc un paysage qui vaille un paysage d’octobre? L’automne est la saison de la tendresse, la plus délicieuse des saisons :

On sait que l’âme humaine est sœur de la nature

Et que les grands espoirs sont fils des printemps clairs,

Et que par les étés flamboyants, rien ne dure,

Si ce n’est l’élan sur des épis et des chairs.

L’univers tout entier est tendu vers un terme :

Croître, porter un fruit qui mûrisse, servir,

Être au soleil la pomme âcre, juteuse et ferme :

Le rôle de l’été c’est d’être l’avenir.

Mais l’automne a les mois d’amours tendres et graves;

Les moissons ont déçu les espoirs des juillets;

Les prés n’ont plus les blés qui font les bras esclaves

L’inutile beauté décore les forêts.

Et l’âme humaine alors s’accorde au couchant triste;

Le présent prime l’avenir et l’autrefois;

La chrysoprase, l’or, la perle et l’améthyste

Ornent le funéraire arroi des derniers mois.

L’esprit ne ressent plus la vanité des choses,

Si la chair s’aperçoit de sa fragilité,

Et par un clair vouloir, autour de soi, des roses

Ramènent les parfums abolis de l’été…

Et je pourrais continuer à te chanter l’automne pendant des pages et des pages. Oui, l’automne c’est la Femme en sa pleine maturité, qui n’a plus besoin de fard, de chapeau Eugénie, pour se faire apprécier; mais sa seule sagesse et sa seule tendresse.

Mais je ne te convertirai pas à l’automne, alors j’apprécie tes vers. Si tu en penses sincèrement ce que tu en écris : « Je ne suis pas loin de croire que c’est pourri au suprême », j’ai encore une fois le chagrin de te dire que tu ne connais rien en poésie. Mais l’automne t’a joué un beau cocu : si l’on fait abstraction des idées que tu exprimes et que l’on s’en tienne au rythme, ton poème est digne de l’automne. Je ne t’en dis pas plus. Saluts.

Alfred

Lettre 99

FHB 298/045/007 et FAD boîte 1, 1.014

le 8 oct. 1931

 

Mon cher,

Maintenant que tu as dit du mal de mon poème, je commence à le trouver bien. Je lui trouve de belles qualités. Il est un peu obscur, mais c’est dans l’ordre de l’intellectualisme. D’ailleurs, tu ne me fais aucun reproche sur ce point. Sans doute, nous ne nous entendrons pas. Parce que tu aimes l’automne, et que je ne l’aime pas. C’est affaire de tempérament. Si tout le monde louange l’automne, je le déprécie. C’est ce qui fait mon originalité!! As-tu objection à ce qu’on ne soit pas comme tout le monde? Maintenant, je ne compare pas l’automne à l’amour. Ne t’en déplaise. Je dis que l’automne est leurre, comme l’amour. Et je crois que c’est assez juste. L’automne nous donne tout, pour nous retirer tout le lendemain. Comme l’amour humain, son frère… Les paysages d’automne sont très beaux, mais on sent derrière eux la déchéance, la décomposition prochaine, la mort. C’est pourquoi ils ne me reviennent pas. Continue tout de même à chanter l’automne. Plus tard, les maudits critiques se battront avec de grandes lances, pour prouver lequel des deux a raison. Sans compter que nous illustrerons tout un aspect de la pensée au 20e siècle, entre Sherbrooke et Saint-Hyacinthe. Entre temps, je garde mon poème et le publierai dans mes œuvres complètes, ne serait-ce que pour te faire de la peine. Mais le tome poésie est encore à venir pour longtemps. Là-dessus, je te salue. Quand viens-tu?  Est-ce que tu n’aimes pas ce vers :  L’amour humain, ton frère à la bouche de cendre.

Il faut avoir connu cette bouche.

Mes amitiés

[H.B.]

Lettre 100

FHB 298/045/007

le 27 oct. 1931

 

Mon cher DesRochers,

Je t’inclus quelques pages, que je te prie de regarder. Qu’est-ce que tu penserais du tout, comme début d’un nouveau roman? C’est une nouvelle idée qui vient de me passer par la tête, et que je crois pouvoir mener à bien. J’attends ta réponse avant de prendre ma cognée pour de bon. Si ça ne vaut rien, je déchirerai.

Dimanche dernier, revenant d’un de mes petits voyages au bout du monde, j’ai arrêté voir Grignon à Ste-Adèle. Je lui ai dit que tu m’envoyais faire sa connaissance, et que tu m’avais gourmandé de belle façon pour avoir négligé, jusque-là, de lui présenter mes hommages. Il m’a reçu à bras ouverts. C’est un chic type. Du moins, c’est ma première impression. Je crois que nous nous entendrions sur bien des points. Il n’est pas féroce comme d’aucuns le croient et il sait comprendre. En somme, j’ai été content de ma visite.

Là-dessus, je vais me coucher. Fais-tu des vers? Pas moi. J’ai de bonnes nouvelles de Juana. Si je juge par l’effet premier de son entrée dans le monde, elle passera. Tout le monde a l’air content. Est-ce assez maudit? Les gens ne veulent pas de livres sérieux, et sérieusement faits. Ils veulent s’amuser, c’est tout. Même ceux qui font les graves esprits devant le monde. Donnez-leur des confitures, ils mangent jusqu’à s’écœurer. Mais ils repoussent la viande nourrissante. Je me suis donné un mal infini, pendant des années, pour donner à quelques individus que j’estimais graves, des livres qu’eux-mêmes ont jugé assommants. Mais je leur promets, s’ils veulent des amusettes, de leur en bâtir pour leur argent. À moins que je change encore d’idée, ce qui est possible. Je te salue.

[H.B.]

Lettre 101

FHB 298/045/007 et FAD boîte 1, 1.014

Sherbrooke, 27 octobre 1931

 

Mon cher Bernard

J’ai reçu l’exemplaire de Juana que tu m’as adressé et je t’en remercie – pas d’éloquence, tu détestes ça.

Malheureusement pour toi, quand j’en parlerai pour le grand public, il faudra que je laisse la vanne ouverte à mon enthousiasme.

Je te dis déjà que l’appréciation sera originale, du moins au Canada. Elle se composera de cinq sonnets. Et si ce n’est pas la preuve la plus patente que je puisse donner de la valeur de ton livre, de la vie de ton héroïne, puis de ce qu’elle inspire, je ne sais que faire.

Pelletier s’accorde à dire que Juana est ton meilleur livre et de beaucoup, bien que la dédicace matamore le pique un peu au vif. Pourquoi perdre un temps si précieux à se rendre désagréable?

Sois donc sage en littérature, comme en personne. Produis des livres. Dans trois ou quatre ans d’ici un « jeune » de ce temps-là s’apercevra qu’Harry Bernard est toujours bien le seul de nos romanciers qui sache composer un livre, et pis qu’il écrit pas si mal que ça. Et sois content de ce que tes livres se vendent.

Je m’excuse de ne pas t’entretenir plus longtemps… Je sais que tu n’as rien du fifi… J’ai regretté de ne pas te rencontrer chez Stien, samedi soir. J’espérais que tu y serais; c’est pourquoi je ne t’ai pas remercié plus tôt de la délicate attention que tu as eue à mon égard, en me classant parmi les tout premiers de tes amis – laïques ou profanes ou vulgaires, quel est le mot – avec le numéro 4. Je te rendrai l’attention un jour.

Présente mes hommages à Madame Bernard, mes respects à M. l’abbé Martin et veuille croire que je te trouve chanceux en maudit d’avoir connu Juana

Saluts,

Alfred D.

Lettre 102

FHB 298/045/007

29 octobre 1931

 

Mon cher Bernard,

Ce que tu te raffines en vieillissant! Tu n’imagines pas comme ça me réjouit le cœur de te voir revenir au simple bon sens. Tu comprendras un jour, mon cher Bernard, qu’il y a, dans la province de Québec, des milliers de curés et de vicaires pour soutenir la morale; des milliers de sociologues pour nous dire les dangers sociaux; mais qu’il n’y a qu’une pincée de gens capables de conter une histoire et que tu es de ce nombre. Alors, tu verras comme le peuple est sage de dire que  « Chacun son métier, les vaches seront bien gardées ». Juana commence à te le prouver. Ton prochain roman te le confirmera, si tu continues à l’écrire dans ce mode de réflexion mûre. LA LITTÉRATURE N’EXISTE PAS POUR PROUVER, ELLE EXISTE POUR ÉGAYER LES LOISIRS RESTREINTS D’UN NOMBRE RESTREINT DE PERSONNES, QUE CE GENRE D’AMUSEMENT INTÉRESSE PLUS QUE TOUT AUTRE. Ces personnes-là, pour la plupart, ne sont pas matériellement heureuses. Elles ont du temps à perdre aux livres, aux livres qui sont, à toutes les normes bourgeoises, des pertes de temps. Ces gens-là sont « bourrés » du matin au soir de rappels au devoir, de ci, de ça. Ils prennent un roman pour se sortir de l’embêtement quotidien. Si tu veux leur prouver encore des tas de choses dont ils n’ont en ce moment que faire, ils s’écrient : La barbe… et ils ont raison. Mais conte-leur une histoire bien conduite, vraisemblable, une histoire dont ils auraient pu être héros ou victime, où les forces qui les exhaussent ou les rabaissent ne tiennent nullement de la logique, des conventions, du sens social, du sens racial, mais simplement des sens tout-court, ces ennemis les plus dangereux que tout homme puisse rencontrer. Et parce que ces ennemis sont une partie de nous-mêmes, plus, qu’ils sont nous-mêmes proprement dits, ne les vilipende pas trop. Il y a une sagesse supérieure qui ordonne toute chose. Et c’est pourquoi sois mystique, sois romantique, sois poétique, sois éloquent, sois littéraire, sois tous les défauts « littéraires » réunis. Tu seras simplement alors un être vivant. Ouvre la vanne aux sentiments. Tu es en bonne voie. Pas besoin de faire rôder Vénus dans les bois d’Upton, pour ça. Ne sois pas un simple cinéma, sois de la vie même.

Oh! les affreuses banalités que je te sers là. Ris mais laisse-les s’enfoncer dans ton subconscient. Et incorpore-les dans ton nouveau roman en qui j’ai pleine et entière confiance.

Il me plaît de voir que tu as salué Valdombre. C’en est un autre qui a des préjugés, et rien ne fait tomber ces maudits préjugés comme de les discuter. Et rien ne profite tant à l’écrivain que de discuter de problèmes littéraires avec des gens du métier, même si ceux-là ont des façons de voir totalement différentes des nôtres. Samedi dernier, après la soirée de l’Association des Auteurs, nous avons veillé tout un groupe chez Pelletier. J’ai pris la contrepartie de tout ce que je pense réellement, pour connaître le fond de la pensée de certains assistants. Ce fut tordant. La veillée s’est prolongée jusqu’à 4 heures du matin. Et si intéressantes que soient les Juanas à certains moments, elles ne se comparent pas aux littérateurs pour procurer des plaisirs complets. Les Juanas c’est excellent en littérature. Et il y a des milliers de gens qui sont comme nous, que les Juanas intéressent surtout sublimisées, conçues et enfantées par des cerveaux masculins.

Pour l’amour du ciel, ne change pas d’idée. Sers-nous des confitures. Il y a assez longtemps que nous sommes gavés de grosse mélasse. De la viande, nous en aurons toujours assez pour ne pas mourir de faim.

Je voulais te dire deux mots de félicitation sur ton roman, et voilà. Alors excuse-moi, et viens gueuler littérature, quand ça te plaira.

Saluts,

Alfred D.

Lettre 103

FAD boîte 1, 1.014

[novembre 1931]

 

Penses-tu pouvoir venir à Mtl le 14, à l’occasion du dîner des Auteurs? J’ai d’autres choses à te dire, et je n’ai pas le temps de t’écrire. J’ai 3 ou 4 procès à préparer de ce temps, en plus de la besogne coutumière. Un mot?

Amitiés,

[H.B.]

Lettre 104

FHB 298/045/007 et FAD boîte 1, 1.014

le 2  novembre 1931

 

Mon cher DesRochers,

Je te remercie de tes deux lettres, et surtout des sonnets promis. C’est trop d’honneur. Et ce sera surtout incompris de la masse d’imbéciles qui forment notre public. Tu te donneras un mal extrême pour me faire plaisir, et personne ne comprendra. Hors quelques illuminés comme toi et moi.

J’ai noté tes conseils littéraires. Je ne t’en dis pas ce que j’en pense, ni ce que j’en ferai. En somme, tu as pas mal raison. Pour le moment, je continue mon roman. Le premier chapitre achève. L’histoire que je vais conter n’a pas de sens commun, et il s’agit de la donner comme vraisemblable. J’avertis mon lecteur qu’elle est invraisemblable, et je tâche ensuite de le persuader que « c’est arrivé ». Qui vivra verra. Même les plus verrats.

As-tu vu la critique d’Harvey? Ce pauvre diable, il ne peut faire autrement que d’être aimable, et cela paraît l’embêter superbement. Comme il aurait voulu que le livre fût mauvais, d’un bout à l’autre. Cette fois, il m’accorde que je sais faire un roman. Mais il affirme que je ne sais pas faire une phrase. Il ne prouve pas, cependant. Et prouverait-il, sur un point particulier ou deux, que cela ne prouverait rien du tout. N’importe quel écrivain, dans n’importe quel  livre, peut avoir des faiblesses. J’en prends à témoin les plus grands.

Je ne m’accorderai jamais avec Harvey, littérairement parlant. Son style idéal, brûlant, qu’on enfonce dans la gorge du lecteur, à coups de stylets, comme il dit, ou à coup de pied au cul, c’est ce que je ne ferai jamais. Je me sens incapable, tout à fait, des envolées hyperboliques qu’il affectionne. Quant à l’écriture, je n’accepterai jamais d’aligner des phrases fleuries d’épithètes inutiles ou creuses, comme il arrive à Harvey. À mon sens, cet homme n’a pas la moindre idée de ce que peut-être le style dépouillé moderne, la simplicité dans la concision, la vérité dans la mesure. Je le répète, c’est un romantique né trop tard, qui pense encore comme on pensait il y a cinquante ans, et qui prend pour des phares les vieilles vessies de cochon que tous les hommes à la page ont remisées depuis longtemps. Le point délicat, c’est qu’Harvey paraît vouloir être un de mes amis. Il y a des moments où je le désirerais parmi mes ennemis sûrs.

Veux-tu me dire ce que c’est que Stien, et cette soirée de L’Association des Auteurs? Je n’y comprends rien. Moi qui ai versé 5 $. comme tout le monde, pour me glorifier d’être de l’Association, je n’ai jamais entendu parler de soirée, ni de Stien, ni de rien. Éclaire-moi de ton fanal.

Édouard Hains a été bien aimable. Le comique, c’est qu’il admire mon français, ma façon de peindre la nature, d’interpréter la vie. Si Harvey l’attrape! Il admire chez moi les défauts qu’Harvey déplore. C’est à crever de rire.

Je te laisse. Si je ne succombe pas à la tâche, je ferai cet hiver un autre roman. Et je continuerai, comme dans le passé, à me ficher royalement de l’opinion.

Je te serre la patte.

[H.B.]

Lettre 105

FHB 298/045/007

Sherbrooke, 3 novembre 1931

 

Mon cher Bernard,

Nous sommes nés trop tôt dans un monde trop jeune… Il faut en faire notre deuil et nous contenter de faire des œuvres. Le problème que tu discutes sur le romantisme suraigu dont souffre la majorité de nos contemporains, surtout ceux qui se donnent pour mission de diriger la littérature en est un dont tout sincère écrivain a à souffrir. Quand tu viendras à Sherbrooke, je te montrerai copie d’une lettre que j’écrivais à Dantin à propos de L’Homme qui va… et la réponse de Dantin. Tu verras que tu n’es pas seul à penser ce que tu penses.

Moi-même, je suis condamné à écrire des hymnes au vent du nord, ou à passer pour « vidé ». Il faut me confiner au tour de force. Une chance que je m’accommode assez facilement de la chose. J’ai sur le métier une longue machine à l’automne, qui prouvera à mes amis que je suis en mesure de faire de la grandiloquence quand je veux. Mais ce n’est pas ce qui m’intéresse personnellement.

Tu me demandes de te parler de la soirée chez Stien. Il paraîtrait que le fait d’avoir versé 5.00 $ était l’obstacle, puisque moi qui ne l’ai pas versé, et Jovette, et Éva Senécal, et plusieurs autres qui sont dans mon cas, y étions invités.

Ça été pas mal. Il y a eu des esquisses de flirts, comme toujours, des sens avivés, des seins pressés, et tout le bataclan littéraire. De charmantes enfants ont lu des vers; de vieux grognards en ont lu aussi. Il y avait une cinquantaine de poètes à peu près, et une couple de vrais : Choquette, Jovette, Alice Lemieux, l’abbé Melançon. Tu viendras à Sherbrooke et je t’en dirai plus long.

J’ai lu l’article d’Édouard, et je l’ai engueulé pour n’avoir pas compris ton livre. Nous avons discuté assez longuement et il ne comprend pas que Châtel et Juana peuvent s’être rencontrés sans que la question de leur liberté mutuelle ne soit survenue. Pour mon goût, c’est tout à fait possible. La situation où se trouvent les héros de ton livre est rare, mais à mon sens, les situations exceptionnelles doivent donner naissance aux romans.

Ton prochain roman a un début que j’aime, et dès que tu en auras quelques chapitres d’écrits, fais-moi les voir.

Je t’inclus l’ébauche du premier sonnet qui servira d’introduction aux cinq que j’entends consacrer à Juana. Tu me diras si j’ai compris (si tu peux comprendre mes vers).

En attendant l’ensemble, je te prie de me faire confiance.

Alfred D.

Pour Juana, mon aimée

À mon ami Harry Bernard

-1-

Tu viens de nous donner le livre du Regret,

Bernard; et ton roman produit ce sortilège

Qu’en nous surgit un sentiment B que rien n’allège B

De n’avoir pas saisi ce que l’instant offrait.

 

À chaque page, le Regret triste et distrait,

Branlant son front lauré d’une éternelle neige,

Hautain, et précédé de son royal cortège

De souvenirs mélancoliques, apparaît.

 

Et pour mieux nous montrer la cruauté de vivre

Avec un cœur humain, lorsque rien ne délivre

De l’obsédant ennui dont chacun est prisé,

 

Dur moraliste, tu poses tes personnages

Dans un pays où, seuls, pour garder du Passé,

Des gophers et des loups hantent les paysages

– II –

(Le regret du narrateur) Juana, mon aimée, où donc es-tu ce soir?

– III –

(Le regret de Madame Lebeau)

– IV –

(Le regret de Juana)

– V –

(Le regret du lecteur)

Lettre 106

FAD boîte 1, 1.014

(5 novembre 1931)

 

Mon cher,

Ci-incluse copie de lettre que j’adresse à l’ami Harvey.

Tu me retourneras.

Quant à toi, je t’écris sous peu.

Je suis pris, repris, surpris.

Quand je serai dépris….

Mes saluts.

5 nov. 1931

Lettre 107

FHB 298/045/007

6 nov. 1931

 

Mon cher Alfred,

Je viens de relire ton sonnet. Je crois vraiment que tu te donnes un mal extraordinaire, et pour rien.  Pourquoi ne donnes-tu pas une bonne colonne de solide prose? Ça te coûterait bien moins de sueurs. Je ne veux pas dire que je désapprouve ton projet, ou que je ne l’apprécie pas.  Mais le public est si sot. À moins que tu désires inclure ces divers sonnets dans un recueil à paraître, ce qui serait fort aimable pour moi, et resterait pratique pour toi.

Maintenant, laisse parler le critique malcommode. Tes tercets sont assez difficiles à comprendre, et le dernier surtout paraîtra obscur à certaines gens. Il faut retoucher. Dans le 1er vers du second quatrain, assonance désagréable de « Regret » et « distrait »; lis tout haut. Naturellement, ces remarques valent ce qu’elles valent. Je les fais pour la sauvegarde de ton honneur de poète et d’artiste reconnu, officiel, adulé. Je ne voudrais pas, le moins du monde, avoir l’air d’un homme sans reconnaissance.

Si Dantin déplore le romantisme d’Harvey, il a fait d’Harvey un surhomme dans ses Gloses critiques. C’est cet illogisme chez ceux de nos écrivains qui passent pour les plus avisés, qui retarde l’avancement de nos lettres.

Parlant de Dantin, il m’a écrit une lettre enthousiaste, à propos de Juana. Il me fera peut-être un article, s’il en trouve le temps. S’il ne trouve pas ce temps, je me contenterai de l’article sur les Essais, où il a compris, comme Harvey, que je faisais de Baudelaire un mauvais poète.

À propos de Juana, je constate une chose. La plupart des amis, surtout les excellemment bons, ne me paraissent pas revenus de leur surprise Je crois qu’ils sont pas mal scandalisés. À un point tel qu’ils n’osent même accuser réception du volume. Je m’attends, d’un jour à l’autre, à être accusé d’immoralité. Je crois qu’on m’avait voué aux grandes thèses.

Si je ne me retenais pas, j’écrirais un livre pas mal raide, où je mettrais mes idées et mes souvenirs littéraires, mon expérience de journaliste et d’écrivain. J’en profiterais pour dire, à la première personne, ce que je pense des gens et des choses. J’aimerais écrire cela franchement, avec les mots durs qu’il faut, quand il faut, et sans égard pour les considérations d’ordre personnel. Mais est-ce possible, dans un pareil pays? J’aurai bientôt 15 ans de vie active dans le monde des journaux et des lettres. J’ai vu pas mal de choses, d’individus gonflés, de bassesses. Mais vois-tu Lévesque en présence d’un tel manuscrit.

Je t’adresse le premier chapitre du futur roman. J’ai réussi ce tour de force d’y mettre à peu près tous les personnages principaux du livre. La présentation se fait de façon directe ou indirecte, mais tout le monde y est. Et cela ne paraît même pas, pour l’œil inexercé. Mon histoire est une histoire fort sotte, qu’il s’agit de rendre acceptable pour le commun. En passant, j’essaierai de saisir l’atmosphère d’un coin de pays. Je t’en dirais plus long si tu étais ici.

Je te salue,

[H.B.]

Lettre 108

FHB 298/045/007

7 novembre 1931

 

Mon cher Bernard,

Je viens d’avaler ton premier chapitre d’un trait. Il campe le roman à venir mieux qu’aucun de tes autres premiers chapitres Je ne crois pas qu’une seule personne puisse passer au travers de ce chapitre, sans avoir le besoin de lire tous les autres pour savoir comment ça va finir. Tu places là l’essence du roman : une situation qui peut se prêter à cent développements, par conséquent à cent dénouements différents. Il commence encore mieux que Juana.

Tu me permettras de faire une restriction au nom de la vraisemblance immédiatement. Le dialogue « terrien » de la page 6, tel qu’il est présenté, incitera avec raison à hurler les partisans du langage canadien en temps et lieu. Tu nous parles en avocat, puis, tout à coup, tu nous rapportes en habitant une conversation dont tu n’as pas été auditeur, par conséquence purement imaginée. Ça détonne. Pourquoi ne pas extraire ce dialogue de l’enquête du coroner? On prend les dépositions verbatim, alors c’est vraisemblable.

À l’endroit où j’ai mis une croix, j’intercalerais un paragraphe à peu près comme ceci :

À l’enquête du coroner, dont le rapport faisait partie du dossier que m’avait remis Duchesné, la fille aimée des époux Bussières, en réponse aux questions du jury, avait rapporté que la conversation qu’elle avait eue avec son père, à son retour de la forêt, était comme suit :

Naturellement, il faudrait que ce paragraphe soit « romancé ».

Pour le reste, j’aime à peu près tout. C’est rempli de ces réflexions que les jeunes filles soulignent. Quant au style, bien c’est un premier jet; il y a, j’en suis sûr, bien des incidentes qui tomberont sous le sécateur, des phrases qui prendront plus de relief, des comparaisons qui s’achèteront un manteau neuf, telle celle de la lame d’acier à la page 2. Pourquoi ne pas dire là que chaque ligne s’enfonçait comme une goutte de pluie dans de la neige détrempée? Ça serait plus neuf, et plus à la portée de nos Canadiens qui ne sont pas souvent transpercés par des lames d’acier.

Quant à mon projet de sonnets, je le mènerai à bonne fin. Je t’ai dit que ces vers n’étaient qu’une ébauche. Quant à la rime intérieure de « Regret » et de « distrait », je la garde.

J’étais à peu près sûr que Dantin aimerait ta Juana. Je lui en avais parlé lors de sa visite à Sherbrooke, l’été dernier, alors que nous avions eu une discussion assez vive sur La Ferme des pins, et sur ses mérites.  Dantin, comme Harvey, comme Hains un peu, voudrait que l’exceptionnel surgît de l’ordinaire, c’est-à-dire qu’il voudrait qu’on prît un cas tout régulier et que de cela, qui peut arriver à tout le monde, s’élevât de l’extraordinaire, en un mot, il ne voudrait pas qu’on prît un cas exceptionnel comme point de départ, ou qu’alors la psychologie du livre l’expliquât, comme chez Balzac. Moi, je prétends qu’un roman doit toujours avoir comme point de départ des êtres exceptionnels. C’est pourquoi j’aime Lill de Gaétane Beaulieu et La Ferme des pins de Harry Bernard.

J’espère qu’un bon jour, tu cesseras de te retenir (c’est mauvais; ça produit la constipation chronique, l’intoxication) et que tu écriras ce roman des mœurs littéraires au Canada. Tu peux toujours l’écrire; tes héritiers l’éditeront, si tu crains de le faire de ton vivant.

Bon, viens donc à Sherbrooke, le 28 novembre. Harvey vient donner une conférence sous les auspices de la Ligue de la jeunesse féminine, dans l’après-midi. Le soir, il y aura un petit chiard chez-moi, où se trouveront Choquette, Pelletier, Lucien Parizeau et quelques autres. Dans l’après-midi, nous pourrions causer. Tu souperas à la maison, de sorte que nous aurons un trois ou quatre heures de gueuladerie.

Alors au revoir,

Alfred D.

Lettre 109

FHB 298/045/007 et FAD boîte 1, 1.014

Le 16 novembre 1931

 

Mon cher Alfred,

Je te remercie de ton invitation. J’essaierai de me rendre à Sherbrooke pour le 28. Il n’y a qu’une ombre : c’est que ce cochon de Parizeau y sera. As-tu va sa saloperie dans La Patrie? J’admets  bien la critique, mais je cherche le pourquoi de pures injures et du sarcasme à bon marché.

Je n’ai pas retouché mon roman. Je n’ai pas le goût, ni le courage. Il y a des fois que je me sens d’une lassitude. Je me demande si vous êtes comme cela, vous autres?

Parlant de « là où ». Est-ce que tu ne dirais pas : là même où je ne pouvais pas passer. Alors? À quoi tient ton objection? Heureusement que j’ai pour moi Hugo et les autres.

À propos de Hugo, je suis à lire un très beau livre : Les Amours d’un poète, de Louis Barthou. Hugo et Juliette Drouet. Un livre fait. Il date déjà de 1919. Mais je ne le connaissais pas. Je viens aussi de finir Après, de Remarque. C’est d’un déprimant!

J’attends les sonnets avec hâte. Et j’ai reçu une lettre plus qu’enthousiaste de Grignon , qui me promet un article dans les trois X, pour le Canada. Voilà qui va mieux. Dantin et Valdombre décollés. Les autres font les morts. Quant aux bons enfants de la bonne littérature pour bonnes petites filles, je crois qu’ils sont scandalisés. Pense donc, Juana s’est laissé embrasser.

Bon, je te salue. Tibi

Harry B.

Lettre 110

FHB 298/045/007

Sherbrooke, 19 novembre 1931

 

Mon cher Bernard,

Tu as vu Le Canada d’hier? À qui sait attendre, tout vient. Valdombre te porte aux nues. Si tu n’as pas lu l’article, demande-le par livraison spéciale! En passant, il botte tous tes détracteurs. C’est amusant.

Je te fais voir aussi, avec permission de l’auteur, une lettre de Dantin où il dit du bien de Juana. Cette chère enfant m’intéresse tellement que je veux que son père sache qu’elle n’est pas une jeune délurée. (Non, ça parle au chien du ministre, j’ai apporté la lettre à la maison. – Je te l’expédierai un bon jour).

Je n’ai pas eu le temps de revoir Juana, pour la bonne raison que ma femme l’a prêtée – Juana qui ne se donnait pas elle-même! – à une de ses connaissances. J’ai bougonné un peu. J’attends son retour, et sitôt reçue, je te pondrai une colonne au moins, puisque tu préfères ce genre, pour le grand public. Je ferai les sonnets pour toi seul et JUANA.

Je t’attends samedi prochain. Parizeau, tu lui demanderas la permission de l’envoyer au diable.

Saluts!

Alfred DesRochers

Lettre 111

FHB 298/045/007

30 novembre 1931

 

Cher Monsieur,

Les éloges que nous a valus notre initiative d’un supplément littéraire des Cantons de l’Est, l’an dernier, nous incitent à en faire une institution annuelle.

Il nous faut naturellement la collaboration des écrivains de l’Est pour cela, et c’est pourquoi nous venons vous demander de nous faire tenir avant le 15 décembre un inédit de vous, vers ou prose.

Cette année, nous nous proposons de dresser une série de notices biographiques sur nos collaborateurs. Vous nous obligeriez encore davantage en ajoutant à vos inédits une courte notice biographique comprenant les renseignements demandés dans le questionnaire ci-joint.

Notre supplément littéraire paraîtra en même temps que notre édition de Noël, le 17 décembre. Nous savons que le temps est court, mais vous nous avez déjà prouvé que votre bonne volonté n’avait pas de limite. Alors nous comptons sur vous.

S’il y a des écrivains de notre région qui ne nous sont pas connus, vous nous obligeriez en nous faisant tenir leur adresse.

Nous vous remercions d’avance de votre collaboration – qui dissipera le préjugé d’exclusif matérialisme dont on accuse les gens de l’Est en certains quartiers – et nous vous exprimons, encore d’avance, nos meilleurs vœux de succès littéraire et de parfait bonheur.

Bien à vous,

LA TRIBUNE, Limitée,

Alfred DesRochers.

P.S. Si tu ne veux pas m’adresser de poème, dis-moi quel passage de La Ferme des pins ou de Juana tu veux que je publie. Mais je préférerais de l’inédit. Un de tes petits poèmes descriptifs (ou amoureux) irait très bien.

AD/GC

Lettre 112

FHB 298/045/007

Décembre 1, 1931

 

Mon cher Bernard,

J’ai la cervelle enceinte du projet dont je t’ai parlé : j’ai eu ma première « tranchée » avant-midi, entre deux annonces. Tu me pardonneras le style camomillesque de mon préambule. « J’ose espérer » (style Jeanne-Grisé) qu’il sera de ton goût. Sinon, fais-en ton deuil et va au diable, car je me propose d’écrire cet article à ma manière et d’y dire ce que je pense. Les sonnets suivront peut-être.

Il paraît que nous avons fait une gaffe monumentale dimanche et samedi. J’avais chargé ma femme, du moins je suis sous cette impression, de vous inviter à venir dîner avec nous dimanche midi. Nous avons même attendu une grosse demi-heure pour vous. Nous ne savions pas où vous attraper. Et quand tout le monde fut parti, ma femme m’a demandé : « Mais les as-tu invités, au moins   –  Mais c’est toi qui devais le faire. –  Ben, non! Alors… » Tu m’excuseras auprès de Madame Bernard. Elle est monumentale, cette gaffe-là. Ça fait une dizaine de fois qu’on dîne chez vous, vous venez en ville et vous n’êtes pas invités. « Cout’don’, c’t’arrivé, astheur’. Quoi stu veux qu’on guy fasse? » Mais c’est sacrement embêtant : je me proposais d’aller à Saint-Hyacinthe assez prochainement.

Bonjour, mes excuses encore une fois.

Alfred D.

Lettre 113

FHB 298/045/007 et FAD boîte 1, 1.014

le 4 décembre, 1931

 

Mon cher,

Tu es bien aimable, trop aimable, aimable au superlatif, et les gens vont croire que je t’ai payé pour te payer leur tête. Enfin, continue dans la bonne voie. Il va sans dire que je n’ai rien à redire. Mets-en et remets-en. Cela fera peut-être de la peine à Camomille, mais je lui enverrai des mouchoirs.

Somme toute, et plaisanterie à part, un article sérieux aurait un bon effet dans le Canada français, où cet outrecuidant universitaire en peau de fesse s’acharne à me faire la réputation d’un bûcheron qui prendrait la plume. En passant, si tu veux des conseils, je te dirais bien d’insister un peu sur l’écrivain ami de la nature, qui connaît les herbes et les plantes, les arbres, les bêtes des champs et des bois, les poissons des rivières et des lacs, l’odeur des bois et la saveur de l’eau bleue des lacs, qui goûte la feuille morte. Il y a là, sous ces petits détails, l’un des principaux aspects du roman au Canada, si l’on veut que ce roman exprime la vie du pays. Sans doute, ce n’est pas là l’essence d’un récit, mais les accessoires qui font le récit de notre pays. Et l’on n’a pas, jusqu’ici, souligné cet aspect de mon œuvre. Remarque que si j’avais dit de lourdes sottises sur la flore et la faune du Canada, qu’on m’aurait engueulé de haut en bas et de bas en haut. Mais comme j’ai beaucoup travaillé cette matière, et que l’on ne m’a guère pris en défaut, on fait silence. Et c’est ce silence qui est destructeur. Si nos Canayens savaient lire, ils verraient bien par eux-mêmes. Mais ils lisent sans voir ce qu’il y a sous les mots, et il faut bien leur montrer les dessous, pour qu’ils comprennent. Franchement, je ne sais qu’une variété de dessous qu’ils trouvent d’eux-mêmes, et du premier coup.

Quant à ton histoire de dimanche dernier, tu peux être tranquille. Si tu n’en avais pas parlé, nous n’en aurions jamais rien su. Et tu pourrais venir dîner à la maison, avec ta femme, chaque fois que le cœur te le dira.

Je puis t’assurer que mes susceptibilités, en matière de mondanités et démonités, sont loin sous la peau. D’ailleurs, j’étais pris et nous étions pris, dimanche midi. Il fallait absolument que nous nous « montrassions » chez mon beau-frère, où je n’avais pas encore mis les pieds depuis mon arrivée à Sherbrooke, le samedi au midi. Est donc bien qui finit bien, et continue à dormir sur les deux oreilles. Quand tu viendras à Saint-Hyacinthe, cependant, dis-le moi, afin que je ne sois pas parti pour Montréal ou ailleurs.

Mes saluts,

[H.B.]

Lettre 114

FHB 298/045/007

2 mars 1932

 

Mon cher Bernard,

Tu ne fais rien que comme moi. Je me suis moi-même absorbé dans une machine qui s’intitule le Retour de Titus et qui comptera plus de 400 vers. Strophe de Vigny, la Maison du Berger. J’ai passé tout mon mois de janvier et une partie de février là-dessus. Avec mes critiques (?) de la page littéraire, c’est tout ce que j’ai eu le temps de faire.

Je n’ai plus le besoin de prendre pour moi-même :

Je sais que l’homme est grand d’être entre les humains,

Celui qui pour marquer son amour, quand il aime,

Sait ne pas refermer ses mains sur d’autres mains,

Mais qui plutôt vers tous les ouvre toutes grandes.

Puisque chacun de nous est un amas d’offrandes,

Pourquoi nous alourdir encor de nouveaux gains?

 

C’est pourquoi je te viens, ce soir avec des roses

Et pourquoi je ne veux de toi rien en retour :

Parfumes-en le lit lascif où tu reposes!

Ce n’est pas le tribut d’un exclusif amour

Mais l’accomplissement tardif d’une promesse.

Tu n’as pas à croiser les mains sur ma tendresse :

Je ne la conservais que pour la rendre, un jour.

 

J’en ai 54 strophes de faites – comme celles-là!

Me feras-tu l’honneur encore de lire ton roman en manuscrit? Tu sais comme ce me ferait plaisir.

L’adresse de Dantin est 97, rue Walden, Cambridge, Mass.

Pour te délasser de ton roman, est-ce que ça ne te plairait pas d’écrire des saynètes pour la radio? $ 20. de l’heure. J’ai reçu des offres. J’ai même écrit une première scène qui doit être « soumise » ces jours-ci.

Mais je ne suis pas assez « ambitieux », j’aimerais mieux employer mes loisirs à écrire la deuxième série de Paragraphes.

Continue à vivre comme un moine pour quelque temps, mais n’oublie pas complètement les amis, et quand ça te dira, au lieu de chausser tes bottes, de venir dans l’Est, tu seras toujours reçu avec le plus vif des plaisir.

Au plaisir de te lire

Alfred D.

Lettre 115

FHB 298/045/007

24 mars 1932

 

Mon cher Bernard,

C’est sûrement un élogieux article que te consacre Mgr Camille Roy. Tu le méritais d’ailleurs. Dolorès t’en vaudras de plus grands encore.

Que ne viens-tu à Sherbrooke, en avril? Nous pourrions causer littérature plus à notre goût qu’aux réunions de la société des auteurs. Si tu venais le 16 avril, par exemple? Choquette m’a dit qu’il viendrait passer une fin de semaine assez prochainement. Nous pourrions arranger la réunion pour cette date.

À propos de la Société des auteurs, j’ai dit un peu mon idée, l’autre jour, mais je ne l’ai pas exposée comme je l’aurais voulu. Entre nous, ne trouves-tu pas que les granges c’est fait pour mettre de la paille, et que si les cadres de la Société deviennent comme des murs de grange, ce ne sera que de la paille?

Je comprendrais une société d’auteurs pour protéger leurs intérêts communs. Mais si tout le monde est admis qui a écrit un billet du soir ou du matin, ces personnes-là vont nous nuire. Comment faire pression, comme Société, auprès d’un publiciste, par exemple, pour qu’il emploie des auteurs reconnus, si tous ceux et celles qui jouent des « coups de cochons » pour obtenir des positions dans les journaux, font également partie de la Société? Comment se faire prendre au sérieux, si toutes les correspondantes de Colette sont idoines à l’association? Mais, c’est stupide!

Mais nous causerons de tout cela à la prochaine rencontre. Je m’en vais remplir mon devoir pascal.

Saluts,

Alfred D.

Lettre 116

FHB 298/010/013

Sherbrooke, 28 avril 1932

 

Mon cher Bernard,

Je viens de terminer la deuxième lecture de Dolorès. La première fois, je l’ai lu tout d’un trait, empoigné par le récit; j’ai voulu reprendre mon sens critique. J’ai apporté le roman au bureau et je l’ai lu entre corrections d’épreuves, trois ou quatre pages à la fois. Eh bien, tu m’as! Je ne puis pas te critiquer. Ton roman a de l’allure et tous les défauts que je pourrais y trouver seraient de l’infecte mesquinerie de ma part. Autant vaudrait se plaindre des « reculons » au petit doigt d’une princesse qui te tient entre ses bras. Ceux qui parleront en mal de Dolorès seront de cette nature : des « COCHONS »!

Mais tu ne m’as pas fait lire l’inédit pour des compliments. Tu m’embêtes! J’ai noté, ça et là, quelques mots et quelques tournures que j’aimerais mieux autrement, mais un auteur, du moment qu’il respecte la langue et la vérité, a le droit d’écrire comme il veut. Ma principale objection, surtout dans les débuts, c’est que ta phrase est trop monotonement courte. Ça donne à certains moments l’impression d’une légèreté factice : il est agréable de voir sautiller un oiseau pendant quelques instants, mais ce n’est pas naturel qu’il sautille tout le temps; il doit voler de temps à autre.

Avant le chapitre III, j’essayerais de faire une transition dans le temps, suggérée par l’espace : j’essayerais de faire sentir au lecteur les impressions d’enfance que suggère l’« abri ». Deux ou trois pages y suffiraient et ce serait moins heurté que présentement. Une espèce de monologue intérieur à la Valéry Larbaud et le nom de Lucile surgirait comme une fleur naturelle.

À la fin, j’ajouterais un épilogue très court qui dirait ce qu’est devenu le narrateur et ce qu’il a fait durant les douze ans qui suivirent la catastrophe. Il est parfaitement légitime de finir le roman, comme tu le finis, mais n’oublie pas que le BESOIN du lecteur de savoir où il en est n’en est pas moins légitime. Montre donc le roman à Dantin, si tu ne l’as pas déjà fait. Pour mon goût, la CHANSON JAVANAISE est un modèle de composition, et l’on sait ce qu’est devenu le héros. Balzac, dont je me soûle présentement, ne finit à peu près jamais ses romans comme tu finis Dolorès. Je sais que Bernard est Bernard, mais Balzac reste Balzac et il n’y aurait pas dommage à étudier ses trucs.

Ta psychologie est encore plus affinée que dans Juana, mais je souhaiterais donc que tu pénètres aussi profondément au fond du cœur de l’homme qu’au cœur de la forêt. Tes descriptions, surtout celles des pages 107-108, sont des merveilles. Je trouve toutefois que tu as exagéré en décrivant le « plouc » du rat musqué comme formidable. Nul corps en tombant dans l’eau ne produit un bruit formidable. Même l’éclat de la dynamite sous l’eau n’est pas tel. Dans mon jeune temps, j’ai vu culbuter des billes de 24 pieds ayant 36 pouces sur la souche et que deux bons hommes avaient peine à manier avec un cant-hook, j’ai vu, dis-je, de telles billes tomber à l’eau d’une hauteur de 4 à 8 pieds et le bruit n’avait rien de formidable. Un gros caillou plat faisait un plouc aussi fort, si le giclement de l’eau l’était moins.

Enfin, pour ton prochain roman, je te conseillerais de ne pas adopter le genre personnel. Je vois que ce genre offre de nombreux avantages, mais il pose aussi des limites qui l’empêcheront toujours d’avoir la pleine portée du roman régulier. Pour rendre l’histoire vraisemblable en tous points, il faut divers points de vue. Le roman personnel restreint le nombre des points de vue, ou perd tout son naturel. Si tu pouvais voir dans le cœur de tes héros avec autant de détachement ou de sympathie que tu regardes la forêt, tes romans acquerraient en force ce qu’ils perdraient peut-être de leurs qualités présentes.

Le seul roman écrit à la première personne qui me semble pleinement complet, ce sont les Liaisons dangereuses, de Laclos, et n’oublie pas qu’il y a une dizaine de personnes qui sont narrateurs et que les « communications » ne sont pas destinées à la même personne. Dans Juana et Dolorès, le narrateur tient toujours le haut du pavé et le lecteur ne peut tout comprendre du héros, comme si l’auteur le démontait…

Je ne sais pas si je suis clair ou obscur, mais je m’en fous. Ce que je veux que tu saches, c’est que même à deuxième lecture, je n’ai pas pu m’arrêter aux détails. Le mouvement m’emportait malgré moi.

Tu apprendras, avec plaisir ou déplaisir, je m’en fiche pas mal, que « HARRY BERNARD, ROMANCIER DU REGRET » sera le thème d’une conférence que Bibi prononcera au Collège Séraphique, des Trois-Rivières, le 21 mai au soir. Les bons Pères Franciscains m’ont prié de t’inviter à cette causerie, comme d’ailleurs Choquette et Pelletier. Après la causerie officielle, on se propose d’inviter les élèves des classes supérieures à une petite réunion dans une classe, où les écrivains seront invités à « discuter » de points que soulèveront les professeurs.

Bon, je dois te quitter. Viens passer une fin de semaine. Je te féliciterai d’avoir inclus un des sonnets que j’aime dans ton prochain roman.

Saluts,

Alfred D.

Lettre 117

FAD boîte 1, 1.014

[mai 1932]

 

Je te remercie, mais je n’irai pas aux 3-Rivières. Il est préférable que je n’assiste pas à une conférence où l’on fera en partie mon éloge. Ma pudeur s’y oppose. Et si tu veux m’éreinter, tu seras bien plus à l’aise, me sachant absent. Je te remercie quand même de l’importance que tu parais m’accorder.

Saluts,

Lettre 118

FHB 298/045/007

Sherbrooke, 10 mai 1932

 

Mon cher Bernard,

Je n’irai pas à Montréal le 14 pour deux raisons; la première, mes finances ne me le permettent pas, la deuxième, je ne fais partie de l’Association des auteurs et n’entends pas en faire partie. Plus j’y pense, plus je trouve que les vrais écrivains canadiens jouent dans cette société le rôle de « cocus contents ». Leur seule besogne se résume à mûrir la candidature des officiers de cette société aux palmes académiques françaises (pardon, Thérive!). Plus je regarde la Revue moderne et moins je puis concevoir que le directeur de cette revue ait des intérêts communs avec les écrivains canadiens. Mais cette maudite Revue est faite de romans « français payés », de traductions américaines « payées » et de contributions canadiennes gratis pro Deo. Une association d’auteurs n’a de raisons d’être que pour promouvoir les intérêts matériels des écrivains. Ce n’est pas à rencontrer Mme Henriette Tassé, Mme Boissonnault, Mme Benoit, Mlle Birs-Desmarteaux, M. Montet, le juge Surveyer et autres auteurs sans œuvres ou à peu près que nous développons nos facultés intellectuelles! Alors, qu’est-ce que j’irais faire en cette galère. Les gens dont le commerce peut m’être profitable, ce sont des amis, comme toi, Choquette, et quelques autres que je peux rencontrer quand je veux, à loisir et à profit, pas devant des couverts de $1.00.

Plus longtemps ceux qui ont écrit ou qui écrivent ou qui écriront s’allieront à ces gens qui dans la société ne cherchent que leur immédiat intérêt personnel, plus longtemps l’intellectualité au Canada sera considérée comme une infirmité. La proposition de 300 membres! Ça me fait hurler. Imagine donc quel prestige ça va nous donner auprès des éditeurs de journaux et de revues de faire partie d’une Société semblable! Mais le problème des écrivains canadiens, c’est de prouver qu’ils valent quelque chose et que par conséquent, au pays, leurs œuvres sont plus alléchantes pour la majorité des lecteurs que les œuvres françaises ou les traductions de l’anglais. Est-ce que c’est en mettant de l’avant des gens comme Jeanne Grisé, Georges Boulanger du Canada et autres que les écrivains canadiens se feront prendre au sérieux? Ensuite, auprès des imbéciles qui dirigent la plupart des journaux, est-ce bien nous aider que d’introduire n’importe qui dans la Société? Mais qui nous dit qu’un « quinzième-ordre » ne se prévaudra pas de son titre de sociétaire pour nous enlever notre emploi, en sous-vendant ses services. La chose n’est pas nouvelle. Je pourrais citer trois ou quatre cas à ma connaissance où des personnes compétentes ont été supplantées par des fausses-alarmes qui se prévalaient de leurs relations.

Bon, mais j’oublie que tu es directeur de la Société… J’ai changé d’avis sur le sujet de ma conférence aux 3-R. Je garde Bernard romancier du regret, pour une conférence à Sherbrooke l’automne prochain. Ce sera plus pratique que devant des collégiens, la plupart déjà lecteurs de l’œuvre bernardienne.  L’Alliance Française m’a demandé de faire une conférence au cours de l’automne prochain. Ça réunit l’ÉLITE de Sherbrooke. Peut-être que ça fera vendre une demi-douzaine de tes livres. Aux 3-R., je ferai un essai de clarification sur la doctrine du Canadianisme intégral en littérature, tel que je le comprends. Incidemment, je ferai allusion à tes romans, mais je n’en ferai pas l’analyse fouillée que je me proposais d’abord de traiter. Ce sera pour l’automne.

Je viens d’acheter la maison où je demeure et j’achève de me monter un cabinet où nous pourrons jaser tout à notre aise à ton prochain voyage : une pièce de plus de 20 pieds par 10 pieds.

Bon, je te quitte, j’ai du travail à faire.

Saluts,

Alfred D.

Lettre 119

FAD boîte 1, 1.014

[fin mai 1932]

 

Je suis pas mal de ton avis quant à la S. des A. Quant à aller à Sherbrooke pour quelque temps, je ne sais pas. Je te remercie quand même. En tout cas, je te tiendrai au courant. Je vais à Mtl vendredi et j’essaierai de faire entendre raison à l’Éditeur.

Saluts, B.

Lettre 120

FHB 298/045/007

Le 13 juin 1932

 

Cher Confrère,

Votre obligeance et celle des autres collaborateurs qui rendirent possible la publication d’un Almanach littéraire de l’Est en 1930 et 1931, nous incite à vous demander une nouvelle faveur : un INÉDIT pour la troisième édition de ce périodique régional, qui paraîtra en supplément de La Tribune, le 27 août prochain.

L’an dernier, nous avons publié de courtes notices biographiques de nos collaborateurs; cette année, nous voudrions compléter la documentation en présentant la photographie des écrivains de l’Est. C’est une suggestion que plusieurs nous ont faite. Il faudrait toutefois que TOUS nous fournissent leur photo, sans quoi l’initiative perdrait tout son attrait. Vous nous obligerez en nous faisant tenir inédit et photo avant le 6 août.

Nous vous serions aussi très reconnaissant si vous attiriez notre attention sur les omissions qui déparaient les deux almanachs passés. Voulez-vous nous donner les noms et adresses de toute personne demeurant dans l’Est, y ayant demeuré ou en étant originaire, et ayant quelque œuvre littéraire à son crédit! Nous serions enchanté de présenter au public aussi des JEUNES qui n’ont encore rien publié, mais dont les essais avèrent du talent.

Il est probable qu’une deuxième Journée des écrivains de l’Est se tiendra à Sherbrooke, après la publication de l’Almanach. Dès que la date en sera arrêtée, vous en serez avisé au moins trois semaines à l’avance.

Nous vous remercions de votre collaboration passée, et, par anticipation, de celle que vous nous adresserez en réponse à la présente lettre.

Confraternellement,

LE FACTOTUM DES ÉCRIVAINS DE L’EST

Alfred DesRochers

AD/OL.

Lettre 121

FHB 298/045/007

Le 19 juillet 1932

 

Cher Confrère,

Vous n’avez pas mis en oubli, j’espère, ma lettre du 13 juin, demandant collaboration pour un troisième Almanach littéraire de l’Est, à paraître le 27 août. Vous n’avez pas oublié non plus que, cette année, nous nous proposons d’illustrer les écrits de l’Almanach de photographies des auteurs. Comme je vous le disais, il faudrait absolument que les écrits et les photos me parviennent avant le 6 août. Je n’ai reçu, jusqu’à date, que deux envois.

Il est définitivement décidé qu’une Journée des écrivains de l’Est se tiendra encore à Sherbrooke à l’automne. La date n’en est pas arrêtée, mais ce sera probablement à la fin de septembre ou en octobre. Avis en due forme de la réunion vous sera adressé au moins quinze jours avant la réunion.

S’il vous était possible de me faire parvenir votre photo et votre collaboration avant le 6 août, ça me faciliterait la tâche. Nous nous proposons, cette année, de donner à l’Almanach la forme d’un tabloïde (format du Petit Journal et de l’Illustration). S’il y a moyen, ce sera une section complètement séparée du reste du journal. Vous pouvez nous envoyer de la « copie en masse… » Les poètes sont invités à nous soumettre plus qu’un poème. Notre intention est de présenter un bon aperçu des écrivains de l’Est, et pour cela, plus d’un simple poème ou un court essai en prose est nécessaire.

Nous vous prions encore de nous faire connaître le nom de jeunes de talent ou d’auteurs que nous pourrions avoir oublié.

Confraternellement

Le FACTOTUM  DES ÉCRIVAINS DE L’EST

Alfred DesRochers

P.S. As-tu délaissé les Muses pour les poissons? Du moment qu’il y a des ailes… Il y a bien longtemps que je n’ai pas entendu parler de toi. Je ne puis avoir d’auto pour aller à Saint-Hyacinthe. Quand viens-tu?

Lettre 122

FHB 298/045/007 et FAD boîte 5, 3.202

Le 21 juillet 1932

 

Mon cher,

Je t’envoie un tas de copies : deux poèmes et le premier chapitre de Dolorès. Est-ce que cela te va? Si nécessaire, je pourrai te donner d’autres poèmes. Dans ce cas, tu pourrais faire tout un coin de ton serviteur en tant que poète. Ha! ha! Je t’adresserai la photo d’ici quelques jours, aussitôt que le photographe me l’aura remise.

À part ça, c’est moche. J’ai mis mes vers en ordre et les ai portés à l’abbé Melançon. Il me les a retournés avec un assez bon nombre de corrections à faire. Je dois le revoir. De plus en plus, j’ai envie de jeter tout cela au panier. Je n’ai pas besoin des lambeaux de la gloire de Choquette.

J’irai à Sherbrooke, un de ces jours avant très longtemps. En tout cas, tu seras avisé suffisamment à temps pour que tu puisses pavoiser.

Quant à ta journée des écrivains, fais l’impossible pour qu’elle n’ait pas lieu dans la première quinzaine de septembre. Tu sais que ce temps est sacré pour moi. C’est l’époque où je m’enfonce dans la forêt avec mes cannes à pêche et mes instincts les plus sanguinaires. Et je tiens à en être, de cette journée.

Et je te laisse. Un peu pressé. Mes saluts à la maison.

Tibi,

Harry B.

Depuis que mon désir errant t’a rencontrée,    (5)

Je t’aime et je te vois dans toute la contrée.

 

Ton corps souple est pareil aux tiges des roseaux    (4)

Que la pluie et le vent recourbent sur les eaux.

 

Le matin fastueux évoque ton visage,    (7)

Je te sens vivre dans les traits du paysage.

 

Je trouve à ton baiser chaste le goût du miel,    (6)

À ton regard l’éclat lumineux du plein ciel.

 

Tes bras dorés me sont des gerbes mûrissantes,    (9)

Tes cheveux sentent bon comme les fleurs des sentes.

 

Je reconnais ta lèvre ardente dans le sang    (8)

Dont l’automne a chargé l’érable frémissant.

 

Sur ta prunelle où mon rêve a largué ses voiles    (11)

S’attarde le reflet des lointaines étoiles.

 

Tes dents saines, dans ton sourire ensoleillé,    (10)

Brillent de la blancheur mate du lait caillé.

 

Toi qui me tiens dans les filets de ton caprice,    (1)

Tu m’es, tout à la fois, allégresse et supplice;

 

L’aube jeune, le soir mouillé, l’ombre des nuits,    (2)

La chanson de l’abeille et la saveur des bruits;

 

Le vin fougueux, le sang des cerises, l’eau fraîche,    (3)

Le raisin bleu, le pain frugal, la pomme rêche;

 

Tu m’es l’espoir, et le désir, et le remords   (12)

La fougue de la vie et le goût de la mort.

Harry Bernard

 

Je te regrette aussi pour la paix des quenouilles,

La virginale chair des moites nénuphars,

Où se blottit le chœur croassant des grenouilles;

Pour le sanglot rythmé, trop humain, des huards,

S’élargissant dans le silence des montagnes;

Pour tes cris, tes odeurs, tes ombres et tes chants,

Toute l’intimité saine de nos campagnes;

Pour l’écureuil musard et le mulot des champs,

Le pinson dont le nid d’herbes est contre terre,

Le pivert martelant l’écorce du bouleau,

Le fer de lance aigu qu’offre la sagittaire,

Et qu’aime le brochet dormeur au bord de l’eau

Été, je te désire, et t’appelle, et t’acclame,

Parce que, sans l’apport de ta verte vigueur,

Le paysage est comme un cadavre sans âme,

Et la terre, un géant qui n’aurait plus son cœur.

Harry Bernard

Lettre 123

FAD boîte 1, 1.014

[22 juillet 1932]

 

Mon cher,

Dans la pièce soumise hier, il y a une sottise impardonnable.

Je ne sache pas qu’un cadavre ait jamais eu une âme.

Donc, corriger l’avant-dernier vers comme suit :

Le plus beau paysage est comme un corps sans âme,

De cette façon, tu seras moins facilement scandalisé.

Mes amitiés.

H.B.

Lettre 124

FHB 298/045/007

[fin juillet 1932]

 

Mon cher Bernard,

Envoie-moi d’autres vers. Je te consacrerai 2 pages de mon Almanach. Publies-tu Dolorès à l’enseigne des Écrivains Associés?

La gloire que te vaudront tes vers ne sera pas des lambeaux de celle de Choquette. Vous avez des domaines nettement différents et les amateurs du bazyboumboum ne trouveront pas leur fait chez toi, mais ceux  – de plus en plus nombreux – qui apprécient le « fini », la « pensée exacte », etc. se délecteront de tes vers.

Viens faire un tour, je n’ai pas le temps d’écrire.

Alfred D.

P.S. Je voudrais publier Au fils qui n’est pas venu  – La réunion aura lieu en octobre probablement.

 Lettre 125

FHB 298/045/007

Le 26 juillet 1932

 

Mon cher Alfred,

Je t’envoie d’autres poèmes, que tu utiliseras comme tu l’entendras. Si tu veux être bien aimable, tu me feras une petite introduction comme rimailleur, afin que les gens sachent de quoi il retourne. Tu pourras ajouter que je devrais publier un recueil de vers, que j’ai toujours refusé jusqu’ici, etc. et tu pourras indiquer, si bon te semble, en quoi mes poèmes se distinguent de la production courante. Puisque tu tiens à m’accorder une originalité qui me laisse sceptique. Tout cela serait une manière d’advance publicity, pour le jour où je céderais à tes sollicitations et à celle d’autres amis, poètes, lunatiques et gens de rien.

Je préférerais, pour des raisons à moi, ne pas publier le poème du Fils. Surtout à Sherbrooke. Tu dois comprendre pourquoi.

Je ne sais encore quand j’irai à Sherbrooke. Pour le moment, j’ai bien des choses en main.  En main est le mot. Mais je t’avertirai quand je prendrai la route qui conduit chez toi.

Ne donne pas de nom d’éditeur, pour ce qui est de Dolorès. Rien n’est encore définitif. Il est probable, si la combinaison marche, que j’éditerai partie avec Lévesque et partie seul. Affaire d’argent, mon vieux. Faut vivre. Je t’adresse, sous pli, correspondance échangée avec La Presse. Qu’en penses-tu. Retourne-moi les textes.

Je te laisse ici, te saluant.  Te remerciant aussi des éminents services que tu t’obstines à me rendre.

Sincèrement,

[H.B.]

Lettre 126

FHB 298/045/007

[27 juillet 1932]

 

Dis à ton jeune de me cataracter un chapitre et sa photo, ainsi que notes biographiques au plus m… Il me faudrait tout avoir pour le supplément avant le 6 août.

J’ajouterai une note, au bas de l’avant-propos de Dolorès, à l’effet que Lévesque éditera ce roman.

Je tiendrai compte de ta défense, re : Du Tremblay.

Merci pour le tout, en attendant qu’« éditeur » en règle, je paye mes collaborateurs.

Saluts,

[A.D.]

Lettre 127

FHB 298/045/007

Sherbrooke, 27 juillet 1932

M. Harry Bernard

Le Courrier

Saint-Hyacinthe

 

Mon cher Bernard,

J’ai fait copier le dossier LA PRESSE-BERNARD, que je porte à la chemise des documentations sur l’état des auteurs au Canada. Un bon jour, avec ta permission, je pourrai peut-être en faire usage, si la polémique au sujet de l’Association des auteurs continue.

Vois-tu quel avantage la Société aurait de s’adjoindre des membres influents comme Mayrand, Du Tremblay, etc. Et Lévesque viendra nous dire qu’il n’y a pas conflits d’intérêts entre les écrivains et les éditeurs. Une association d’auteurs qui ne serait pas composée de poulets désossés ferait une protestation publique devant un tel scandale. Mais que peut dire Bruchési, lui dont la revue n’envoie pas même de justificatif à ses collaborateurs pour la gloire? Que pourrait dire Lévesque qui – si ce n’est pas le cas avec moi –  propose des contrats à certains auteurs dont la teneur est aussi alléchante que la proposition Du Tremblay?

Je trouve que tu as répondu de façon admirable et, à ta place, j’enverrais la correspondance à tous les journaux du pays, afin que le public soit au courant. Peut-être en est-il quelques-uns qui la publieraient, et que par ricochet, s’ils ne les publient pas, ça leur ferait faire un mea culpa.

Je vais donner tes vers à la composition ces jours-ci et je t’en enverrai une épreuve. J’espère que ça fera bien près de toute une page, format tabloïde, de mon Almanach. Le ballyhoo te sera soumis en même temps que l’épreuve. Il pourrait bien me manquer, de 8 à 12 vers octosyllabiques pour que la page soit complète. Si tu as de courts poèmes de ce rythme, envoie- m’en, sinon, « j’étirerai », mais ça paraîtra moins bien.

J’attends ta visite pour parler des autres sujets.

Bonjour

Alfred D.

P.S. Fais donc un conte avec la correspondance! Peins Du Tremblay à la réception de ta lettre, s’exclamant : « V’la ce qu’on a, quand qu’on veut aider les ceuls de che-nous ».

Lettre 128

FHB 298/045/007 et FAD boîte 1, 1.014

le 29 août 1932

M. Alfred DesRochers

La Tribune

Sherbrooke

 

Je tiens à te féliciter, mon cher, de l’Almanach. Il est mieux, il me semble, que celui des années précédentes. Je te remercie aussi avec toute la gratitude dont je suis capable, de l’importance que tu m’y donnes. Le format surtout est très intéressant. Vas-tu, cette année, songer à publier le tout en brochurette? Je crois que l’initiative est à prendre.

Que penses-tu des vers de Béatrice Favreau? Ce poème d’elle publié dans le journal d’Hains, m’a simplement épaté. Cet autre, dans l’Almanach, me laisse la même bonne impression. Il y a là-dedans beaucoup de goût, une sobriété qu’on rencontre rarement chez les femmes et une connaissance du métier qui m’étonne. Si le volume qu’elle prépare est partout d’égale venue, elle a toutes les chances d’enfoncer ses consœurs. Qu’en dis-tu?

Si je le puis, j’irai à Sherbrooke samedi prochain, – cette semaine. Mais ce n’est pas encore définitif. En tout cas, je te le ferai savoir en temps et lieu.

Je mets la dernière main aux épreuves de Dolorès. Que dis-tu de cette jeune femme? Quelle sorte d’impression fait-elle autour de toi? Valdombre et Lucien Rainier, qui m’ont aidé à corriger, trouvent tous les deux le livre supérieur à Juana. Je me demande s’ils ne se laissent pas emporter par leur enthousiasme? Cette aventure dans l’inconnu que la publication d’un nouvel ouvrage!

Le Coffret de Dantin. Je ne sais si je manque de goût, mais je trouve cela faible et très vieux jeu. Dantin, qui a beaucoup de goût pour juger des vers des autres, semble en manquer quand il s’agit des siens. Je n’y comprends plus rien.

Mes saluts.

Merci

H.B.

Lettre 129

FHB 298/045/007

Sherbrooke, 30 août 1932

M. Harry Bernard

Le Courrier

Saint-Hyacinthe

 

Mon cher Bernard,

Les temps sont trop durs, mon cher, pour songer cette année à tirer une brochurette de l’Almanach. C’est pour que les gens puissent le conserver, si ça leur dit, que j’ai adopté le format tabloïde. Mon projet à longue distance, c’est de tirer des Almanachs passés, un jour ou l’autre, les écrits les plus substantiels et de les publier, sous forme de livre. Mais pour cela, il faudra que la prospérité revienne ou que nous nous soyons plus accoutumés à la crise.

Et maintenant, si tu peux me rendre un service, pourrais-tu me publier, sans signature ni indication, comme un article de rédaction, ou dans ta colonne « Bonjour » l’articulet que je t’inclus. Ça préparera les voies à un autre almanach. Sinon, pas pires amis.

Je t’attends samedi, et peut-être que je réunirai quelques amis, si ça ne te rase pas trop, le soir. Je ferai voir ta lettre à la personne concernée et j’espère que c’aura un bon effet. Mon opinion est que Béatrice Favreau est peut-être NATIVEMENT moins douée que ses consœurs, mais qu’elle a un certain sens moderne de la vie qui la rend originale. L’abbé Melançon m’a écrit hier pour me dire que celle sur laquelle il misait le plus pour l’avenir, c’était Jeanne Grisé. Éva Sénécal est la favorite d’un groupe de la Métropole. Annette LaSalle raffole de tes vers et de ta prose.

Quant à Dolorès, il me semble t’avoir écrit, l’hiver dernier, la même chose que Rainier et Valdombre. Le seul défaut que je lui trouve c’est de ne pas laisser connaître assez exactement ce qu’est le héros, aujourd’hui. Le reste, c’est Bernard, romancier du regret, à son mieux. Dolorès est destinée à la réédition ou je n’y connais rien. Je travaille toujours un peu lentement à mon projet de conférence sur toi. Ça finira par se matérialiser.

Quant au Coffret de Crusoé, je ne partage pas ton avis. Il y a, pour sûr, certaines pièces qui datent, mais la « Complainte du Cœur Noyé, le Désert, les Chansons folâtres », certaines chansons intimes me semblent irréprochables.

Alors, viens me voir, que nous jasions plus à loisir.

Mes saluts à toi, mes hommages à Madame Bernard,

Alfred D.

Lettre 130

FHB 298/045/007

[fin septembre 1932]

 

Mon cher Bernard,

Le peigne et la brosse sont en lieux sûrs et te seront expédiés incontinent.

Il paraît que nous ne toucherons pas substance du prix David avant quelques semaines, peut-être quelques mois.

Si les lauréats du prix cette année n’ont pas eu plus de réclame, c’est une cochonnerie de La Presse qui a publié la nouvelle avant le release officiel. La Tribune a boomé le stock de la région.

J’arrive d’une tournée de quatre jours en Nouvelle-Angleterre. Deux jours à Boston, une journée à Nashua et une journée à Lewiston, Me. La moyenne intellectuelle des Francos est passablement plus élevée que la nôtre. J’ai rencontré au moins une trentaine de jeunes filles cultivées et plus de livres canadiens-français qu’à Sherbrooke.

Et j’ai bonne envie de poser ma candidature à la Société Royale à la prochaine ouverture, pour le plaisir de scandaliser les bourgeois. Lucien Rainier ne m’a pas soufflé mot depuis l’événement mais je viens de voir une lettre de lui, où perce son dépit. Et pourtant, « il » s’est fait couronner par l’Académie française, afin d’avoir plus de poids. Où le putanat intellectuel va-t-il se nicher?

[DesRochers]

Lettre 131

FHB 298/042/017 et FAD boîte 1, 1.014

Saint-Hyacinthe, 22 décembre 1932

 

Mon cher Alfred,

Veux-tu me rendre un petit service?

Envoie-moi donc deux ou trois poèmes, de quoi former quelque trois pages, de tes Échos de Chansons mortes? Ce serait pour ma nouvelle revue, qui a l’ambition d’être en aussi belle toilette que possible pour sa première livraison.

Et cela te fera quelque publicité. Tu pourras indiquer, s’il te plaît, qu’il s’agit de pièces extraites d’un ouvrage en préparation.

J’ai un peu envie de publier mes vers d’ici quelques mois. Qu’en dis-tu? Me ferais-tu une préface?

Mes saluts chez vous. Je te remercie d’avance et compte sur une prompte réponse.

Sincèrement,

[H.B.]

 Lettre 132

FHB 298/045/007

Sherbrooke, 28 décembre 1932

 

Mon cher Bernard,

Ta demande m’honore, comme on dit officiellement, et elle me fait plaisir, comme on dit entre amis. Seulement, j’ai à peu près – et temporairement j’espère – abandonné la poésie depuis plusieurs mois. Et je ne me sens pas la moindre aptitude à la littérature par le temps qui court. D’inédit qui convienne à ta revue, je n’ai à peu près rien présentement. J’ai bien une centaine d’ébauches mais rien de montrable. J’ai commencé il y a longtemps une suite de sonnets : LUNE DE MIEL, dont je t’envoie un extrait ci-joint. Je pourrais peut-être trouver une demi-douzaine de sonnets à peu près de même veine, si ça te convient. Après le jour de l’an j’entends me mettre à l’œuvre. Mes bonnes intentions durent de un à trois mois…

Si le sonnet inclus te va, tu pourras publier en disant qu’il est extrait d’une suite de 50 sonnets à paraître sous le titre de LUNE DE MIEL.

Voici mon chèque pour abonnement d’un an à L’ACTION NATIONALE à laquelle, je souhaite, santé, bonheur et prospérité, comme à toi-même et à ta famille.

Lettre 133

FHB 298/042/017

le 2 janvier 1933

 

Mon cher Alfred,

Ton sonnet est bien, mais je me demande si c’est vraiment l’article pour la revue, et surtout dans le premier numéro? Je ne suis pas prude, tu le sais, mais j’aurais voulu attendre un peu avant de lancer ce genre.

N’as-tu pas autre chose? Rien en fait d’échos de chansons mortes? Ça me surprend! Réponds tout de suite. Si tu n’as rien d’autre, que dirais-tu si je publiais tes souhaits de jour de l’an?

M’as-tu dit que tu me ferais une préface pour mon recueil de vers? Il faudrait bien que je présente ma prosodie sous la protection de quelqu’un, et d’un grand.

Je n’ai pas encore trouvé dans La Tribune l’article sur Dolorès. M’aurait-il échappé?

J’attends un mot dans les vingt-quatre heures et te salue avec ta famille.

Sincèrement,

[H.B.]

Lettre 134

FHB 298/042/017

Sherbrooke, 3 janvier 1933

 

Mon cher Bernard,

Mais, mon cher, l’action nationale par excellence, n’est-ce pas de faire des « petits? » LE FAIT PAR QUOI VIVRA LA RACE DE NOS MORTS – c’est la revanche des berceaux!

Les autres échos de chansons mortes qui sont inédits et « écoutables » au point de vue facture sont beaucoup plus osés que l’extrait de lune de miel.

Quant aux ballades de fin d’année, ce sont des babioles qu’on adresse aux amis, mais qu’on ne donne pas au public. Il n’y a rien là dedans qui vaille quoi que ce soit : c’est guère moins banal que les souhaits imprimés aux États-Unis pour maintenir une tradition canadienne.

Bref, je n’ai rien de montrable, sauf le sonnet déjà envoyé. Je viens de me ratteler à 10 vers par jour, mais c’est pour bâtir un poème sur le tricentenaire des Trois-Rivières à la demande de l’abbé Albert Tessier. Je ne puis t’en fournir d’extraits.

J’accepterai avec plaisir d’écrire une préface pour ton recueil de vers, ne fût-ce que pour fournir au moins quelques phrases intelligentes aux critiques…  (Quelle modestie!) Tu sais tout le bien que je pense de tes vers et il me fera plaisir de le dire à un endroit tel que tous les lecteurs de ces vers pourront lire mon opinion.

Je n’ai rien écrit (ou mieux rien publié) sur le compte de Dolorès ni sur le compte de Juana, mon Aimée. La Tribune n’a publié que des communiqués de Lévesque au sujet de ces livres. Robidoux m’a dit qu’il écrirait probablement quelque chose sur ton livre qu’il a fort goûté. Moi, je me spécialise dans la critique des livres ennuyeux : Sous le signe de l’Or, Aux Marches de l’Europe, Initiation Pratique à la bourse, etc. Je ne les trouve pas ennuyeux personnellement, au contraire, mais les critiques sont rares pour ce genre d’ouvrages, alors je me dévoue. Quant à tes livres, voici mon projet : tes romans aujourd’hui sont en nombre suffisant et avèrent une pensée centrale d’une telle unité qu’ils commandent une étude plus importante qu’on ne leur en a consacrée jusqu’ici et plus importante aussi que ne le permet l’article du journal. J’ai toute une ébauche sur Harry Bernard, romancier du regret, que je parachèverai et que je donnerai en conférence ou en plaquette. Mais cela ça demande des loisirs que je n’ai pas eus jusqu’ici.

Je te souhaite succès et bonheur dans tous les domaines. Mes hommages à Madame Bernard et mes  meilleurs souhaits pour que tu sois père d’un fils, quoique ce serait bien triste d’INVALIDER un de tes plus beaux poèmes…

Bonjour

P.S. Ci-inclus, deux échos des Romances sans Paroles de Verlaine. Peut-être que ça plaira mieux à tes lectrices que le faux-pas… As you like it, disait Shakespeare…

Sonnet                                   

Un faux-pas fait blêmir ta lèvre que tu mords :

Le fils que mon espoir en secret déjà nomme

Et qui, de notre cher présent, sera la somme,

Alourdit ta jeunesse et déforme ton corps.

 

Mais ton amour ne sait ni regret ni remords :

Pour que l’orgueil du nom exalte mon cœur d’homme,

Tu sais sourire, en attendant que se consomme

Le fait par quoi vivra la race de nos morts.

 

Ta jeunesse a choisi, préférant au caprice

Le seul amour qui dure, et pour le sacrifice

Déjà depuis longtemps tout ton être était prêt;

Et, devenu mystique ainsi qu’un patriarche,

Je me dis que chacun, quand tu passes, devrait

S’incliner de te voir ainsi, miracle en marche!

Alfred DesRochers

– I-

Je vous offre un amour naïf, aux mains d’enfant

Mélancolique et solitaire, d’enfant gauche

Qui ne sait pas finir le geste qu’il ébauche;

Qui, s’il a fait souffrir, a pleuré plus souvent;

 

Un simple amour d’enfant peureux qui se défend

D’avoir peur, qui voudrait qu’on prenne pour débauche

Ses gros mots au dada que dans l’ombre il chevauche,

Et masque son dépit d’un juron qui surprend.

 

Je vous offre un amour à la fois fol et sage,

Aussi divers, aussi seul que le paysage

Qui vêtait mon pays au soir où nos chemins

 

Ont confondu leurs cours jusqu’alors parallèles,

Quand j’ai, sur votre geste, enserré vos deux mains

Et senti qu’à jamais mon cœur était en elles.

– II –

Les roses, chère enfant, par toi sont refleuries

Dans les jardins de Nevermore; et je renais

Au souvenir de ces parfums que je humais,

Quand ma jeunesse allait rêver par les prairies.

 

C’est en vain que l’hiver roule ses poudreries :

Les jours ont la tiédeur fervente, désormais,

Pour moi, du soir où j’ai senti que tu m’aimais.

Qu’importent les grands vents du nord, si tu souries

 

Sur mon visage, j’imagine tes mains

Se meuvent, effaçant l’effroi des lendemains,

La mémoire morose et les rides du doute;

 

Et j’écoute, du fond de mon passé confus,

Le son que je prêtais à tes pas, sur la route,

Quand j’attendais encor l’amour qui m’était dû.

Alfred DesRochers

(Échos de Chansons Mortes, en préparation)

Lettre 135

FHB 298/042/017

Montréal le 11 janvier 1933

 

Mon cher Alfred,

En fin de compte, je n’ai pas passé tes poèmes. Tu vas être furieux. Tout d’abord, je ne les trouvais pas à la hauteur de ce que tu as l’habitude de faire. Pas polisson! En second lieu, je me demande si tu n’as pas une belle faute de français dans le sonnet II : si tu souries. Qu’est-ce qui peut bien justifier ce subjonctif? Moi, je ne suis pas très compétent en français, – rien de pareil à Asselin ou à Pelletier, lequel confond cocher et charretier –,  et je ne sais pas la réponse. Dans les circonstances, et comme la revue allait sous presse, j’ai été obligé d’en faire mon deuil. La revue de janvier paraîtra, mais amputée des poèmes que j’y voyais en imagination.

Peux-tu te reprendre pour une prochaine livraison? Et avec des poèmes du vrai DesRochers? Je sais que je t’insulte, mais qu’est-ce que tu veux. C’est dans mes attributions d’être malcommode.

Je te laisse là-dessus, je t’estime autant que d’habitude, et j’espère que tu ne me voueras pas une haine éternelle. As-tu des nouvelles de Valdombre? Je lui ai écrit, mais cet anachorète ne répond pas souvent aux lettres.

Je te la serre,

Harry B.

Lettre 136

FHB 298/042/017

Sherbrooke, 12 janvier 1933

 

Mon cher Bernard,

J’aime autant ça de même, et je suis loin d’être furieux que tu n’aies pas inséré de mes vers dans ta revue. Il semble bien que j’aie une faute de français, si j’ai écrit : « si tu souries ». La version originale porte : « pourvu que tu souries »; j’ai probablement changé la cadence en recopiant, sans songer à la tournure « indicative » que devait prendre la phrase.

Des poèmes du vrai DesRochers? Je ne sais pas ce que tu veux dire. Le vrai DesRochers n’a qu’une existence présente, c’est-à-dire qu’il est un être vivant, en constante évolution. Aujourd’hui il peut vociférer oui, demain hurler non – et c’est à cette seule condition qu’il restera le vrai DesRochers.

Si par des poèmes du vrai DesRochers, tu entends des gageures sur les vaches au pacage, il te faudra les prendre dans le recueil imprimé, car il n’y en a pas d’inédit et je ne crois pas qu’il y en ait jamais d’autres, à moins que la dureté des temps ne me force au putanat intellectuel… chose très peu probable, parce que le métier ne nourrit pas son homme.

Quant à vouer une haine éternelle à ceux qui ne pensent pas comme moi, il y a longtemps que cet état d’esprit n’est plus le mien s’il le fut jamais. Je suis démocrate forcené et j’estime qu’il n’y a pas sous le soleil un homme assez fin pour posséder toute la vérité à lui seul. Il n’en a que des fragments. C’est la somme de ces fragments qui constitue une moyenne acceptable. Les idées que préconisera ta revue seront pour la plupart à cent lieues de ce que je considère nécessaire au développement national des Canadiens français. Ça ne prouvera pas que vous avez tort ni que vous avez raison.

Valdombre doit lancer une revue, en février : DEBOUT, qui sera probablement aux antipodes de la vôtre, et nous continuerons à nous passer de la vraie revue qu’il nous faudrait : une revue vouée au présent, et non une adoration perpétuelle du passé ou un pèlerinage vers l’avenir. Mais que veux-tu? Je ne suis pas encore assez riche pour commanditer l’idéale revue…  Espérons que ça viendra et qu’il sera possible un jour, dans la province de Québec, de lire dans la même livraison d’une revue, un éloge du communautarisme et une apologie du particularisme, un article exaltant notre tradition moutonnière et un autre louangeant notre tradition aventurière, Doutre et Mgr Laflèche.

Mais tout cela, c’est encore très loin.

Saluts,

D.

Lettre 137

FHB 298/042/017 et FAD boîte 1, 1.014

Montréal, le 17 janvier 1933

 

Par le vrai DesRochers, mon cher, je n’entends pas seulement des vaches et des pacages. Tu dois me connaître mieux que ça. Mais je t’avoue, sauf le respect que je te dois, que tes deux dernières pièces me semblaient plutôt faibles, et je le regrettais pour ta gloire. Bien plus, quand j’ai tombé sur le « si tu souries », il n’y avait plus moyen de marcher. C’est pourquoi… et je regrette.

Tu me donneras bien autre chose, un autre jour. J’aimais particulièrement tes échos de chansons mortes, et je croyais que tu en avais encore en réserve, – j’entends celles qui commentent ou résument les bons vieux auteurs, et qui te donnaient belle figure de lettré, sans rien d’usurpé.

L’Action nationale fera son possible. Elle essaiera d’être une revue du présent, sans pour cela négliger ni le passé ni l’avenir. N’est-ce pas l’idéal? Que demandes-tu de plus?

La revue te reste ouverte. Je recevrai toujours avec plaisir les pièces que tu voudras bien communiquer. Je te ferai bien une place un jour ou l’autre, et j’y tiens. Tu n’y tiens peut-être pas, de ton côté, mais cet aspect de la question me laisse froid.

Veuille croire, etc. etc.

Harry B.

Lettre 138

FHB 298/045/007

Sherbrooke, 7 février 1933

 

Mon cher Bernard,

Je ne sais pas si tes poursuites nationales te laissent quelques loisirs pour la littérature – ou même quelque goût pour ce passe-temps sans importance au point de vue national, mais j’ai reçu une lettre d’une correspondante de Lewiston qui me parle d’une séance de cercle littéraire où ton livre fut discuté et qui me donne ses impressions personnelles. Je te fais voir le tout, en te priant de me le retourner, une fois que tu en auras fait ton profit.

Es-tu père deux fois?

Et quand me fourniras-tu le texte définitif et total de tes vers pour que je me fende d’une préface comme il ne s’en est jamais écrit au Canada? (!x!)

Quand tu auras les loisirs de piquer une tête vers Sherbrooke, vas-y Francis!

Hommages à Madame, amitiés à Morin.

Alfred D.

Lettre 139

FAD boîte 1, 1.014- Poème : FAD boîte 5, 3.202

Montréal, le 8 février 1933

 

Mon cher,

Je te remercie des documents et te les retourne. Évidemment, tout le monde a raison à part de moi. Je le regrette, et suis confus.

Je t’enverrai plus tard, bien plus tard, le manuscrit demandé. J’y travaille tranquillement, quand j’arrive à secouer la paresse native.

Quand j’irai à Sherbrooke? Un de ces jours. Malheureusement, je ne puis faire de précisions. Je te remercie en tout cas de l’invitation cordiale.

Je t’inclus une nouvelle pièce, qui me semble assez bébête. Qu’en penses-tu?

Mes saluts, mon vieux, dans l’espoir de l’unité cordiale, nationale et définitive.

Sincèrement,

H.B.

Fuir à travers les champs, l’été, dans la mollesse

D’un beau jour embaumant le miel de sarrasin;

Être libre, marcher, ne plus sentir la laisse,

Avoir l’oiseau pour frère et l’arbre pour voisin!

S’en aller nulle part, et partout; fouler l’herbe,

Le trèfle rouge, le foin bleu, les verges d’or.

Sentir monter vers soi l’épi mûr de la gerbe.

Et s’ouvrir le bouton où le pétale dort!

Été, je te regrette ainsi que ton ivresse,

Ton offrande multiple et ta sérénité,

Ton haleine qui frôle ainsi qu’une caresse,

Tes eaux vives, tes ciels mobiles, ta clarté.

Je te désire pour la sève qui circule

Dans chaque effort et dans chaque geste de toi;

Je t’aime dans le coloris du crépuscule,

Qui rougit la fumée autour d’un humble toit;

Dans le jour qui s’éveille abreuvé de rosée,

La chaleur lumineuse et lourde du midi,

La ligne qui s’en va, monotone ou brisée,

Aux lointains qu’un rayon violace ou verdit.

Je voudrais te chanter dans tout ce que tu crées,

Dans tout ce qui, par toi, vit et s’épanouit :

Dans l’épervière orange et dans les chicorées

Sauvages dont le sol poudreux est tôt bleui;

Dans la barbe de l’orge et dans l’avoine jaune,

Dans le chêne, l’érable à sucre, et le roseau,

L’orme haut panaché, le tremble oscillant, l’aulne

Qui voit sa feuille ronde aux miroirs du ruisseau.

Lettre 140

FHB 298/045/007

Sherbrooke, 17 février 1933

 

Mon cher Bernard,

J’ai bien tardé à te dire que FUIR À TRAVERS LES CHAMPS est un poème d’un rythme que j’aime, même si je le trouve un peu trop fluide. J’aime le rythme intérieur, à condition qu’il ne finisse pas par abolir complètement le rythme mécanique et dans le cas présent, il ne va pas loin de là. Je sais que c’est bien moderne, mais n’est-ce pas un peu MODErne, un peu trop esclave d’une mode qui pourrait bien ne pas durer? Naturellement, je ne te demande pas de rimer à la façon de Leconte de Lisle, mais, en certains de tes derniers poèmes, je me demande si tu ne te rapproches pas trop de Guy Lavaud.

Et puis, il y a, naturellement, cet amour de la nature, en soi, que je ne comprends pas, mais dont j’admire la manifestation quand elle est une œuvre d’art. Ton article sur la couleur locale dans L’Action nationale était justement du genre qui susciterait une polémique avec « votre tout-dévoué » s’il avait un endroit où écrire. Qu’en décrivant un paysage canadien, on s’efforce de ne pas commettre de bêtise, parfait; mais poursuivre le paysage pour le paysage, non. Enfin, s’il est quelqu’un qui reconnaisse aux autres le droit de se tromper pour justifier ses erreurs, c’est moi.

Un conseil : dans la Revue, arrangez-vous donc, Bastien et toi, pour trouver un moyen de signer vos notes d’autre chose que vos initiales : H.B. on ne sait jamais à qui on a affaire.

Viens faire un tour quand tu en auras les loisirs.

Lettre 141

FHB 298/042/018 et FAD boîte 1, 1.014

Montréal, le 20 février 1933

 

Mon cher DesRochers,

Je te remercie de ta lettre et des remarques incluses. Je ne te comprends pas très bien quand tu m’accuses, ou presque, d’abolir ce que tu appelles le rythme mécanique. Enfin, je remettrai sur le métier, tranquillement, et j’essaierai de donner à la pièce plus de consistance.

Quant à mon article de L’Action nationale, ne me fais pas dire, de grâce, ce que je n’ai jamais dit. Je ne veux pas du paysage pour le paysage; et ce n’est pas ce que j’ai dit. Quand on décrit un paysage, cependant, que le cadre de l’œuvre s’y prête, je demande simplement qu’on n’écrive pas de bêtises, – exactement comme tu dis. C’est tout. Et je crois que, pour décrire la nature canadienne sans commettre de sottises, il vaut mieux connaître cette nature que de ne pas la connaître. Que veux-tu de plus. Tu penses comme moi, en somme, et tu n’as pas raison de me chercher chicane.

H.B. jusqu’à nouvel ordre, c’est moi. Je crois que Bastien signera Herm. B., quand cela le prendra. Es-tu content?

Mes amitiés,

Harry Bernard

N.B. Quand m’envoies-tu des vers pour la revue? J’en veux et j’insiste. Seras-tu au prochain dîner de l’Association des auteurs, samedi soir prochain, je crois?

Lettre 142

FHB 298/045/007

Sherbrooke, 30 mars 1933

 

Mon cher Bernard,

Tu as mauvaise GRÂCE de t’enguirlander avec Asselin. Permets-moi de te le dire entre deux courses de sollicitations pour un no de mode et un no de cuisine modèle.

Tu avais la vraie sagesse quand tu répondais à tes détracteurs par des livres dont chacun était en progrès – et formidablement – sur le précédent. Tu avais alors la vraie manière de te défendre et de servir les intérêts des Canadiens français.

Puisses-tu revenir à cette sagesse avant qu’il ne soit trop tard, c’est la grâce que te souhaite de tout son cœur, ton hétérodoxe, individualiste, mais toujours sincère ami,

Alfred D.

Envoi 143

FHB 298/045/007

[avril 1933]

 

L’orme jeune et fluet que nous avons planté,

Un lumineux matin de la saison dernière,

Offre aux baisers fiévreux du sensuel été

Ses bras que gonfle encor la sève printanière.

 

Il grandit, droit et sain, parmi d’autres ormeaux,

Fier de sa feuille ovale et de sa lisse écorce,

Et l’on croit percevoir à ses minces rameaux

Le sentiment obscur d’une indomptable force.

 

Ma fille enfant le touche et ne comprend pas bien

Le secret qui relie à cet arbre la terre :

Son regard inquiet se pose sur le mien,

Pour y chercher le sens et la clé du mystère.

 

J’explique la vertu des sucs, et les rapports

Entre le sol et l’arbre, entre l’arbre et la pluie;

Pourquoi rien ne se perd des arbres qui sont morts,

Et comment la mort même est source de la vie.

 

Ma fille écoute et son œil bleu n’est pas troublé,

Je songe que l’ormeau robuste lui ressemble;

Et dans mon cœur se lève un amour redoublé

Pour l’arbre et pour l’enfant qui vont grandir ensemble.

 

Harry Bernard

Ceci vaut-il quelque chose? Texte non définitif. Ne pas publier.

Harry Bernard

Lettre 144

FHB 298/045/007

Sherbrooke, 19 avril 1933

 

Mon cher Bernard,

Tu devines bien que j’aime les vers soumis. Ils ont ces résonances graves qui font mes délices chez Gasquet, chez Pomairol, chez Guérin et chez tous les poètes pour qui la poésie est un amusement mais aussi une œuvre sérieuse, puisque tout homme étant double, il a le besoin d’extérioriser tour à tour les choses légères et les choses lourdes qui sont au fond de lui.

Et tu devines aussi que les différences de tempérament entre toi et moi justifient les versions différentes que nous ferions de ce sujet, s’il nous avait été confié en même temps. Je te donne donc mes variantes, dont tu feras ce que tu voudras.

Au premier quatrain, au lieu de : ses bras restés gonflés de sève printanière

j’écrirais : ses bras « ravigorés » ou « ressuscités » ou « qu’a ravivés la sève… » en un mot, j’userais d’un seul adjectif qui indiquerait l’action renouvelée de la sève.

Au deuxième, au lieu des deux derniers vers, je construirais un rejet de 4 syllabes (la dernière muette) puis

l’élan de ses minces rameaux

Hisse l’exultation d’une indomptable force

(il faudrait naturellement chercher un synonyme de 4 syllabes à ex-ul-ta-ti-on).

Dans le troisième, bien que je m’en sois permis de pires, je n’aime guère l’inversion :

le secret qui relie à cet arbre la terre

Je préférerais la tournure directe : « de l’arbuste à la terre ». J’écrirais peut-être même : « le secret relié de l’arbuste à la terre », mais je crois que je chercherais davantage et que je trouverais mieux.

Au quatrième, à la place de « source de la vie », dans le dernier vers, j’essaierais de trouver un terme qui permît de dire « source de vie ». La mort est une des sources ou des ressources de la vie, mais avec l’article défini devant « vie », il me semble que ton vers prend un sens trop exclusif. Je crois que tu serais capable de risquer :

Et comment la mort même est un apport) de vie

appoint)

Dans le dernier quatrain, bien mon vieux, j’ai beau tenter d’être « c… »  je ne trouve rien à redire.

Tu devrais venir en fin de semaine. Pas le 22. Je vais à Montréal. Et l’héritier est-il arrivé! N’oublie pas que je reste humain…]

J’ai dans ma documentation plusieurs petits items linguistiques dont tu pourrais user (ou abuser) dans tes polémiques… Saluts

Alfred D.

Le rythme que je donnerais au 2e quatrain :

 

6                   /         6                /

4        /         4   /          4          …

4 II    /                 8                   /

6                  /          6                II

 

Il grandit, droit et sain, parmi d’autres ormeaux

Fier de sa feuille, de son tronc, de son écorce

Déjà rude. L’élan de ses minces rameaux

Hisse l’incoercible extase de la force

Hausse

Dresse

Sertit

Mais ça veut pas dire du tout que ces vers vaillent mieux que les tiens. C’est simplement un peu de « réactions » différentes, suivant le tempérament, devant une sensation, une idée ou un fait…]

Envoi 145

FAD boîte 5, 3.202

[avril 1933]

 

L’orme jeune et fluet que nous avons planté,

Un lumineux matin de la saison dernière,

Offre aux baisers fiévreux du sensuel été

Ses bras que gonflent encor la sève printanière.

 

Il grandit, droit et sain, parmi d’autres ormeaux,

Fier de sa feuille ovale et de sa lisse écorce,

Et l’on croit percevoir à ses minces rameaux

Le sentiment obscur d’une indomptable force.

 

Ma fille enfant le touche et ne comprend pas bien

Le secret qui relie à cet arbre la terre :

Son regard inquiet se pose sur le mien,

Pour y chercher le sens et la clé du mystère.

 

J’explique la vertu des sucs, et les rapports

Entre le sol et l’arbre, entre l’arbre et la pluie;

Pourquoi rien ne se perd des arbres qui sont morts,

Et comment la mort même est source de la vie.

 

Ma fille écoute et son œil bleu n’est pas troublé,

Je songe que l’ormeau robuste  lui ressemble

Et dans mon cœur se lève un amour redoublé

Pour l’arbre et pour l’enfant qui vont grandir ensemble.

Lettre 146

FHB 298/045/007

23 octobre 1934

 

Mon cher Bernard,

Tu vois à quoi compte la gloire! E grege unus! Je porte tous les péchés des prix David! Allant à Montréal, samedi, une charmante enfant m’a soutenu que j’étais Robert Choquette. Il est vrai qu’en ce moment je la soutenais moi-même, car elle était aussi « paf » qu’il m’arrive parfois de l’être. Où allons-nous, grands dieux! Et ça me rend tout songeur, moi qui ai trois filles sans compter les garçons. En attendant qu’ils me les fassent perdre, je conserve tous mes cheveux, si je semble avoir mis ma langue en poche.

Je suis tout heureux de prendre cette occasion pour te donner signe de vie. Nous sommes entrés à l’hôpital à peu près en même temps. Pour moi, c’était beaucoup moins grave : appendectomie, comme disait la facture. Six jours seulement absent du bureau; mais une crise chronique d’air bête depuis. Je commence tout juste de m’en remettre – du moins je me le fais croire.

As-tu repris ta « besogne » de romancier? Je le souhaiterais, car tes deux derniers romans marquaient, à mon sens, une orientation dans la bonne voie : tu commençais à aimer tes personnages, à leur donner des muscles et des rotondités. Je pense aux fines extrémités de Dolorès. Le vieux médecin attend avec patience que tu l’interviouves (comme on dit sélectement). Vas-y donc! Et je te promets que je te proclamerai le plus grand romancier vieux-canadien. C’est la technique, ça! Au Canada, il faut oublier tout ce qui s’est publié l’année précédente.

Quand ça te dira de venir passer une fin de semaine à Sherbrooke, j’ai maintenant un appartement « fermant » où toutes mes paperasses se trouvent réunies. Et ça travaille plus mal que jamais.

Au revoir,

Alfred D.

Lettre 147

FHB 298/045/007

Montréal, le 22 novembre 1934

 

Mon cher Alfred,

Tu me pardonneras de n’avoir pas répondu plus tôt à ta première, ou plutôt à ta dernière. Je suis plus pris que jamais. Tout un remaniement est à se faire ici : changements au journal, que tu constateras dès cette semaine, merger de nos deux imprimeries, départ du gérant, installation d’un nouveau gérant, initiation d’un nouveau comptable, réorganisation du bureau d’administration, des services de solliciteurs, etc. Et tout cela tourne autour de ton serviteur, qui doit voir à tout, et qui soigne en même temps sa précieuse santé, assez malmenée l’hiver dernier. En somme, cela va bien et j’ai raison de ne pas être mécontent. Mais je suis forcément obligé de négliger mes amis, et cela me contrarie. Par bonheur que ce sont tous des gens qui comprennent, et qui ne se mortifient point pour une bagatelle. Je te retourne la lettre que tu m’adressais. J’ai envoyé un exemplaire de Juana à ton Larivière, m’excusant d’être l’auteur. Il m’a répondu avec des tonnes d’encens, mais je ne sache pas que Paramount se soit encore pâmé devant mon œuvre, et je ne m’attends à rien de tel. Comment cela va-t-il à Sherbrooke? La famille? Et la littérature? Que ne viens-tu à Montréal un de ces jours. Je n’ai pas le temps de me rendre à Sherbrooke, mais je pourrais bien te rencontrer à Montréal. Donne-moi rendez-vous un jour ou l’autre. Je ne te parle pas de livres : j’ai fait la paresse tout l’été, et je suis accaparé depuis par les contingences matérielles. Mes saluts.

Harry B.

Lettre 148

FHB 298/045/007

[décembre 1934]

 

Mon cher Harry,

Le fait est que je ne suis pas encore mort. J’ai eu une pneumonie qui m’a fait suer une quinzaine des livres d’avoir du poids que je n’avais pas de trop. Je suis toujours à l’hôpital, mais espère passer le Jour de l’An à la maison. Le médecin m’assure que le cœur est bon, les poumons sont bons, l’appétit est bon, la récupération excellente… mais le total de ces « bontés » et de ces « excellences », c’est un bon à rien qui transpire. Mais j’espère que vers le 15 janvier, je serai à peu près remis et je t’écrirai plus longuement.

Alfred DesRochers

Lettre 149

FHB 298/045/007

Le 7 juin 1935

 

Mon cher DesRochers,

Veux-tu me dire ce que tu deviens, ce que tu fais, si tu as abandonné ou non le journalisme et tes amis, si tu écris encore, et où, et dans quel sens? Je n’ai pas de tes nouvelles depuis une éternité. Tu n’as pas répondu à ma dernière lettre, qui remonte presqu’à un autre âge. J’ai vu deux nos de ton Progrès de l’Est, puis ce journal a cessé de m’arriver. Je me suis informé de toi à Montréal, et personne n’a pu me donner de renseignements précis. Viens donc faire un tour à Saint-Hyacinthe, un jour ou l’autre, ce qui nous permettrait de nous remettre à la page sur plusieurs points, et de corriger en temps la structure défectueuse de l’univers. En attendant, mes amitiés à Madame et à la petite famille.

Sincèrement à toi.

[H.B.]

Lettre 150

FHB 298/045/007

[juin 1935]

 

Mon cher Bernard,

Je t’écris le cul sur le même fauteuil que je quittais il y a six mois avec des espérances de rédemption. Je suis retourné aux affaires pour les autres après avoir fait faillite avec les miennes. Le PROGRÈS de L’EST est un fiasco encore plus lamentable que mes critiques littéraires. Il faut dire que je n’y ai mis que le quart du cœur à l’ouvrage.

Je n’ai pas donné signe de vie à personne depuis assez longtemps. Mais les rumeurs sur mon compte ont circulé si mirifiquement que le rêve valait mieux que la réalité. Alors j’ai laissé porté.

J’accepterais ton invitation avec plaisir si j’étais plus argenté, mais six mois de chômage et une faillite qui ne fait perdre un sou à personne sauf à moi ça arrange pas mal la gueule d’un gars, comme dirait mon frère. Toi qui possèdes autos et passes, pourquoi ne viens-tu pas pêcher la perchaude, un samedi après-midi au Petit Lac. La vie est plate c’est effrayant par ici. Toutes les charmantes enfants que je connaissais se sont faites gardes-malades! Parrot, Gendreau et Brindamour ont repris mon idée d’un hebdomadaire à Sherbrooke et vont en faire un succès…durant trois mois.

Viens qu’on jase de tout cela, et fais-moi connaître ta grosse famille.

Mes hommages à Madame et mes amitiés aux petites.

Excuse le style, je prépare une édition spéciale à l’occasion de la Saint-Jean-Baptiste et je tape à tour de bras depuis une semaine.

Saluts,

Alfred D.

Lettre 151

FAD boîte 1, 1.014

le 27 décembre 1935

 

Chère madame,

Vous seriez bien aimable de me donner quelques nouvelles d’Alfred, dont j’apprends la maladie par La Tribune.

Tout au plus le journal nous dit-il qu’il a été gravement malade, et que son état semble s’améliorer. Pas un mot sur la nature de la maladie, ni sur sa durée.

Vous voudrez bien me rappeler au souvenir de votre mari, ajoutant que l’épreuve qui le frappe n’a pas été sans peiner ses amis.

J’ajoute pour vous-même et pour lui, ainsi que pour la petite famille, mes meilleurs souhaits de bonne année 1936.

Sincèrement à vous,

Harry Bernard

Lettre 152

FAD boîte 1, 1.014

le 18 mai 1942

 

Mon cher Alfred,

Un mot à la hâte car je n’ai plus le temps de rien faire à tête reposée. J’ai lu tes poèmes et je n’ai pas besoin de répéter tout le bien que je pense de leur auteur, quand vraiment il veut se donner la peine de travailler. Toutefois, si je ne fais erreur, ce que tu me soumets n’est pas fini. Il faudra polir et repolir, resserrer la langue, si je puis m’exprimer ainsi. Dans l’ensemble, cela n’a pas encore le rendu des poèmes d’autrefois. C’est là mon impression première, et il faudrait que je t’aie devant moi pour t’indiquer et préciser mes exigences. Plus je vieillis, et plus je deviens difficile. Mais l’art est si difficile.

J’abandonne pour un moment mes travaux sur le régionalisme américain. Il me faut reposer un peu. J’ai fait l’hiver dernier, en quatre essais, un tiers de l’ouvrage en perspective, – lointaine. Je suis content que le travail à date t’ait plu. Ce n’est pas un mince chantier. Je crois que, dans l’ensemble, les autres chapitres pourront se comparer aux premiers. Ma documentation est plus qu’abondante. Les articles sont acceptés tout de suite par les revues : Ottawa publiera Mark Twain en juin, Les Nègres en octobre. Si j’ai le temps de le mettre sur pied, Le Canada français, Québec, prendra aussi un article à l’automne. Mais je t’avoue que les beaux jours ne sont guère propices à la ponte.

J’ai regretté de ne pas te voir à Sherbrooke. Je me reprendrai. Si jamais je vais là-bas, il faudra réunir toutes les bonnes volontés, et mettre sur pied un programme d’activités. Il y a trop longtemps, mon vieux paresseux, que tu dors sur tes lauriers passés.

Sur ce, mes amitiés, à toi-même et à la ronde.

Harry B.

Lettre 153

FAD boîte 1, 1.014

le 16 novembre 1942

 

Mon cher Alfred,

Si tu le veux bien, fais-moi donc envoyer, à mon bureau, ta série du Bookman. J’en prendrai grand soin et verrai à te la rendre quand je le pourrai honnêtement.

Je viens de terminer le cinquième chapitre de mon livre, soit une longue étude sur la Nouvelle-Angleterre : Du puritanisme au régionalisme. Ça marche tranquillement : je n’ai plus que sept chapitres à écrire. Sept mois de travail, si la paresse ne me gagne pas.

Il est entendu aussi, sauf avis contraire, que l’ensemble du travail sera présenté à l’Université de Montréal comme thèse de doctorat. J’ai fait des approches du côté de l’Université, et l’on accepte. Si le reste, me dit-on, est à la hauteur des articles parus, la thèse sera acceptée. Et quand il y a acceptation, me dit-on, c’est que le doctorat est assuré. Voilà où j’en suis et qui t’intéressera peut-être. Il reste cependant à terminer l’ouvrage, ce qui n’est pas une perspective de tout repos.

Que fais-tu? Que se passe-t-il? Je ne sais plus rien. Je travaille comme deux et ne bouge guère de Saint-Hyacinthe.

Il est bien entendu que tu m’envoies les revues par messagerie, à mes frais.

Je te remercie d’avance et te prie de croire à mon amitié permanente,

Harry Bernard

Lettre 154

FAD boîte 1, 1.014

le 27 novembre 1942

 

Mon cher Alfred,

Veux-tu bien, entre deux exercices, me donner des explications? Je ne comprends rien. Comment se fait-il que te voilà rendu dans l’armée, et as-tu quitté La Tribune définitivement? Es-tu dans l’active, ou dans un corps de réserve quelconque? Je ne sais rien de rien, et je n’ai pas eu de nouvelles de Sherbrooke depuis longtemps.

Pour ce qui est des revues, tu me les adresseras quand tu pourras, et je te les rendrai quand je pourrai. J’ai eu des embêtements ces derniers temps et n’ai pu commencer mon sixième chapitre. Je crois que je traiterai maintenant du Middle-West, en attendant de m’attaquer au sud, qui nécessitera deux chapitres – plus celui déjà consacré aux Noirs.

Je te souhaite à l’armée toutes les joies et tous les galons, en temps et lieu. Tu ne devrais pas te contenter longtemps d’être troupier. J’ai fait moi-même du service dans ma jeunesse, et je m’imagine un peu ce que peuvent être tes émotions et réactions. Tâche de me laisser savoir ce qui se passe, et s’est passé.

Je te la serre, en attendant des nouvelles,

Harry B.

Lettre 155

FAD boîte 1, 1.014

22 janvier 1949

 

Mon cher Alfred,

Je t’inclus les quelques paragraphes que je te destine. Je crois que j’y ai mis mon cœur, plus que mes crocs. Pour toi, il n’en pouvait être autrement. Tu pourras reproduire dans La Tribune, si le cœur t’en dit, mais pas avant le 11 février. Et tu ne révéleras pas dans le journal le nom de l’auteur. Mes amitiés à toute la famille.

Sincèrement,

Harry B.